15 juin 2020

Protéger les arbres, autonomiser les femmes, assurer des revenus – idées pour une belle histoire autour du karité

by Houria Djoudi / in Tribune libre

Nourrisseur. Guérisseur. Protecteur.

Ce sont autant de mots communément utilisés pour décrire un arbre, un arbre si particulier en Afrique de l'Ouest qu'il est au centre des plus importants rituels de la vie. Lorsqu'une femme met un enfant au monde, elle le recouvre de beurre fabriqué à partir du karité pour protéger sa peau délicate du soleil brûlant. Au moment de ses noces, la mariée apporte du beurre de karité pour montrer qu'elle est en mesure de pourvoir aux besoins de son nouveau foyer. Lorsque quelqu'un meure, la dépouille est souvent ointe de karité avant d'être enterrée.

L'arbre à beurre est associé aux femmes; traditionnellement, les graines et le beurre sont même appelés "l'or des femmes". Les femmes ramassent les noix de karité, cuisent les noix produisent le beurre et le vendent au marché. Dans un monde où les droits des femmes à avoir accès aux ressources et à les contrôler sont complexes – et rares – les pratiques coutumières autour de cet arbre sont extraordinaires.

De nos jours, le karité est un produit très prisé. Désormais, le beurre de karité quitte les mains des femmes d'Afrique de l'Ouest pour traverser les pays et les continents, transformé et conditionné en articles allant du chocolat aux crèmes pour le visage. Or, ces femmes ne tirent pas suffisamment profit de la nouvelle commercialisation du karité sur le marché mondial. Bien que les exportations soient en plein essor et la demande en hausse, les bénéfices ne parviennent pas aux 16 millions de femmes ressortissantes de 21 pays africains qui vivent et travaillent au contact du karité.

Équilibrer les bénéfices 

Étant donné que les hommes gèrent généralement de nombreuses autres sources de revenus, le karité fait partie des rares moyens dont disposent les femmes pour asseoir leur autonomie financière, dans la mesure où elles contrôlent souvent les revenus qu'elles tirent du karité.

En outre, le prix du kilo de karité a augmenté au cours de la dernière décennie. En 2002, l'Union européenne a publié une directive qui a permis de remplacer jusqu'à 5% du poids du chocolat par un équivalent de beurre de cacao. Le beurre de karité, avec sa teneur en matières grasses de haute qualité, a été le substitut idéal, ce qui a permis l'essor du marché. Selon l'Alliance mondiale du karité, la production de beurre de karité a augmenté de 600% au cours des 20 dernières années. La demande est supérieure à l'offre.

Dans ce cas, pourquoi les femmes n'obtiennent‑elles pas une part équitable des bénéfices?

L'une des raisons est que 95% du karité africain est exporté à l'état brut et que celui‑ci passe par trois ou quatre intermédiaires avant d'être finalement commercialisé, ce qui a pour effet de limiter la valeur que les récolteuses tirent de leurs ventes de karité. Or, ce sont les hommes qui dominent les activités les plus rentables.

Autre raison: la récolte des noix de karité et la production du beurre font partie du travail traditionnel des femmes, au même titre que s'occuper des enfants, des cultures vivrières et gérer le foyer, un labeur qui est passe souvent inaperçu lors des analyses de la chaîne d'approvisionnement du karité et du travail des femmes en général. Si tout ce travail – ces longues marches pour atteindre des arbres éloignés, la récolte, les trajets pour trouver du bois destiné à alimenter les feux pour produire du beurre de karité – était reconnu et qu'il était comptabilisé par le marché, les femmes gagneraient énormément plus.

En quête de durabilité 

À l'instar des autres grandes cultures, dès que la communauté mondiale commence à y attribuer de la valeur, les communautés locales peuvent en pâtir. Le karité n'est pas en reste.

Les arbres à beurre poussent dans différents environnements, dans les forêts de la savane, dans les champs où ils servent à protéger les céréales et quelquefois à marquer une propriété. Tandis que les forêts d'Afrique de l'Ouest sont lentement défrichées pour faire place à l'agriculture, le karité reste l'un des rares arbres à pouvoir encore pousser dans les champs agricoles car sa présence est complémentaire à celle d'autres cultures. À ce jour, les chercheurs ne sont pas parvenus à cultiver le karité avec succès, car il faut 15 à 20 ans pour qu'il arrive à maturité et produise des fruits. Donc, pour l'instant, l'utilisation continue de l'arbre dans les communautés rurales où il est protégé et se régénère naturellement est peut‑être la seule façon pour lui de survivre.

Traditionnellement, les femmes ont le droit de gérer et d'utiliser les karités, même si les pratiques peuvent varier en fonction de l'origine ethnique, de l'histoire du peuplement, et du statut social. Mais avec l'augmentation de la demande de beurre de karité, de plus en plus d'hommes entrent dans l'arène, en particulier à des postes privilégiés où ils supervisent les aspects de la production et du commerce. En effet, les femmes n'ont souvent pas le pouvoir de prendre des décisions sur les arbres ou sur les terres où poussent les arbres.

Comme d'autres arbres indigènes du Sahel, le karité a de multiples usages. Le charbon de bois obtenu à partir de son bois est recherché, mais en raison de la grande valeur du beurre de karité, les communautés donnent la priorité à son utilisation pour le beurre. Les règlements coutumiers protègent le karité dans de nombreux pays mais les problèmes que rencontrent les jeunes ruraux pour gagner décemment leur vie font qu'une pression accrue s'exerce sur les arbres, car de plus en plus d'hommes jeunes sont à la recherche de revenus dans le secteur de la production de charbon de bois y compris le bois de karité.

Bien que les exportations soient en plein essor et la demande en hausse, les bénéfices ne parviennent pas aux 16 millions de femmes ressortissantes de 21 pays africains qui vivent et travaillent au contact du karité.

Cette exploitation croissante des karités pour produire du charbon de bois et la régénération très lente, voire parfois totalement inexistante, des arbres posent un grave problème. Si le système socioécologique actuel continue à être perturbé, les perspectives de revenus en milieu rural risquent de se transformer rapidement en pertes.

Garantir les droits

Les droits des femmes et la protection du karité sont peut‑être mieux pris en compte si l'on considère qu'ils sont inextricablement liés dans les régions d'Afrique de l'Ouest où poussent les arbres. Si l'autonomisation des femmes est assurée, les arbres à karité pourraient être mieux protégés. Si le karité est protégé, les droits des femmes pourraient être mieux garantis.

Nous devons nous assurer que les femmes qui récoltent le karité tirent profit de leur participation au marché mondial – et qu'elles commencent à en tirer profit dès maintenant

Cela signifie:

1.     Mieux comprendre et prendre en compte les droits évolutifs et complexes sur les terres et les arbres dans les régions productrices de karité.

2.     Introduire un certain nombre de protections environnementales et sociales dans le commerce du karité, descendantes et ascendantes. Ceux qui bénéficient le plus du commerce du karité ont la responsabilité de soutenir ceux qui n'en bénéficient pas et de créer les conditions pour que les femmes puissent faire valoir leurs droits.

3.     Soutenir les pratiques et la recherche en faveur de la régénération. Autrefois, la pratique consistait en une rotation entre les terres en jachère et les terres agricoles, ce qui permettait aux karités de se régénérer. Étant donné la forte pression actuelle sur les terres, très peu de régions font de la jachère agricole, et les arbres disparaissent donc. Les scientifiques s'emploient à trouver des moyens de cultiver le karité, mais les ressources financières sont limitées.

4.     Reconnaître et prendre en compte le "travail invisible" des femmes et se focaliser sur les plus vulnérables. Si l'on compare les efforts que les femmes déploient tout au long de la chaîne de valeur du karité avec ce qu'elles en retirent, il est clair qu'une disparité existe.

5.     Aider les femmes à se regrouper. L'Alliance mondiale du karité encourage les femmes à gagner leur juste part en les aidant à s'organiser en coopératives et en leur donnant accès à des infrastructures de stockage qui leur permettent de vendre à de plus gros acheteurs. Le Cadre intégré renforcé offre une formation aux petites entreprises de transformation du karité visant à leur apprendre à augmenter leur production, ainsi qu'une aide pour accéder à de nouveaux marchés et à des compétences en matière de promotion.

Non seulement le karité nourrit, guérit et protège, mais il a un impact environnemental et social positif et contribue à la préservation de l'un des plus importants paysages d'Afrique de l'Ouest. Son exploitation peut aider les pays de cette région à poursuivre leur développement, à condition, bien sûr, que les femmes soient au centre de ce processus.

Ces arbres indigènes – ces arbres qui refusent d'être cultivés – remettent peut‑être en question nos systèmes actuels et nous invitent à faire quelque chose de complètement différent.

Avertissement
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