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Les gros titres consacrés au tourisme et à la COVID-19 sont alarmants. La pandémie a été qualifiée de menace existentielle pour le secteur. Le secteur des croisières a été accusé d'avoir propagé le virus. Les travailleurs de destinations populaires sombrent dans la pauvreté.
Les données préliminaires révèlent les dégâts. Les estimations indiquent que le nombre de voyageurs internationaux a chuté de 56%, avec 320 milliards de dollars EU de pertes de recettes jusqu'à la fin mai.
Si les récents chocs ont causé des ravages financiers, cette perturbation est différente en ce sens qu'elle est véritablement mondiale. Tous les pays sont touchés; comme personne ne traverse les frontières, personne n'y gagne. Elle a créé une rare pause au cours de laquelle les pays peuvent tirer les leçons du passé pour préparer l'avenir.
Le tourisme dans le contexte d'une analyse de la CVM
L'analyse de la chaîne de valeur mondiale (CVM) est un outil très apprécié pour identifier et évaluer les opportunités de développement économique dans les différents secteurs. Le principe est simple: pour qu'un pays ou une entreprise puisse participer à un secteur d'activité, il doit comprendre comment il fonctionne et les facteurs qui déterminent où les activités ont lieu. Le processus est cependant loin d'être statique; la compétitivité repose sur une dynamique changeante et sur la mise à niveau continue pour améliorer son positionnement dans le temps.
Dans le secteur du tourisme, l'accès aux consommateurs et la confiance sont des considérations essentielles. Deux groupes clés interviennent auprès des consommateurs: les prestataires de services (hébergement, transport, accueil, activités) et les intermédiaires de la distribution (voyagistes, agents de voyage, plates-formes en ligne). Les intermédiaires offrent aux consommateurs la possibilité de regrouper les services en expériences cohérentes et s'appuient sur des réseaux de sous-traitants qui travaillent avec les prestataires de services. Les touristes choisissent souvent des intermédiaires basés dans leur région d'origine par souci de facilité et de familiarité lorsqu'ils se rendent à l'étranger. Cela est particulièrement pertinent pour les PMA qui dépendent des touristes étrangers et qui sont donc tributaires de ces entreprises pour leur activité.
Pour avoir accès aux consommateurs, les entreprises locales doivent établir des liens avec les acteurs mondiaux. Les acteurs mondiaux comptent sur les entreprises locales pour leur offrir des expériences sûres et uniques. Les entreprises mondiales et locales comptent sur la confiance pour renforcer les liens. Lorsque les voyages reprendront, la confiance sera essentielle dans toute la chaîne; les voyageurs veulent avoir la certitude qu'ils ne seront pas exposés au virus ou bloqués dans des endroits étrangers.
Au cours des 30 dernières années, les chaînes de valeur mondiales ont permis aux PMA d'accéder indirectement aux marchés étrangers via les liens avec des entreprises mondiales qui contrôlent l'accès aux consommateurs. Ces liens ont permis aux pays de pénétrer des filières internationales, mais les capacités nationales doivent être renforcées pour que les avantages du développement économique et social soient pleinement exploités.
Vous trouverez ci-dessous trois suggestions qui donnent un aperçu de l'analyse des chaînes de valeur mondiales pour les PMA. Elles ne sont pas destinées à remplacer celles proposées par des organisations telles que l'OMT; elles offrent plutôt des nuances susceptibles d'accroître l'efficacité.
Bulles de voyage
Les pays qui ferment leurs frontières sauf pour certains pays ou voyageurs créent des bulles de voyage – la Nouvelle-Zélande et l'Australie, la Corée du Sud et le Japon, de nombreux marchés de l'UE et d'autres ont essayé des variantes. Selon les médias, ces tentatives n'ont eu qu'un succès limité. L'approche repose sur la confiance et le contrôle des principaux maillons de la chaîne.
Une grande partie de ce qui rend les voyages attrayants implique une forme de contact humain étroit. La fourniture de services de santé et d'hygiène et la confiance qu'ils inspirent auront une incidence sur la rapidité avec laquelle la demande rebondit; cela est plus facile à gérer si le nombre de lieux est réduit; une bonne intégration de ces protocoles dans l'expérience de voyage apportera des avantages à long terme.
Avec de nombreux avions cloués au sol pour réduire les coûts, la réduction des services a des implications pour les PMA qui pourraient autrement réussir à attirer des visiteurs. Le petit État insulaire en développement de Palau, par exemple, n'avait pas de cas COVID-19 documentés et a essayé d'attirer les voyageurs des pays voisins. Mais les efforts visant à créer un corridor de transport ont échoué. Alors que des îles comme Kiribati, Samoa, les îles Salomon, Tuvalu et Vanuatu ont des avantages naturels en tant que bulles de voyage, l'incapacité à contrôler les transports internationaux reste un défi critique.
Synergies locales
La pandémie donne aux parties prenantes l'occasion de réimaginer un secteur du tourisme dans lequel les acteurs locaux pourraient assumer un plus grand contrôle sur les principaux nœuds de la chaîne. Par exemple, les organisateurs de safaris au Kenya et en Tanzanie ont tenté de cibler les consommateurs nationaux en réduisant les tarifs et en pratiquant un marketing agressif. La demande locale et régionale soutient souvent la modernisation du tourisme, car les entreprises ne dépendent plus de relations de sous-traitance pour accéder aux consommateurs. Il existe cependant des limites évidentes pour les PMA et les PEID où les revenus disponibles et/ou la taille du marché de proximité sont faibles.
Les pays doivent également réfléchir stratégiquement à la manière de maximiser le soutien à travers les chaînes de valeur en identifiant les liens horizontaux entre les secteurs. Le renforcement des liens avec les producteurs agricoles et alimentaires locaux en est un exemple. La COVID-19 a mis l'accent sur les systèmes alimentaires mondiaux et a suscité une inquiétude générale quant à l'insécurité alimentaire. La dynamisation des activités agricoles et de pêche dans les PMA et les PEID pendant la pandémie peut soutenir la valeur ajoutée nationale à long terme et la modernisation du secteur du tourisme si elle est complétée par une aide à l'amélioration de la logistique des chaînes d'approvisionnement alimentaire locales et des offres de restauration. Cultiver ces relations favorisera la résilience des deux secteurs.
Repenser les voyages
Plus les restrictions de voyage seront longues, plus nous nous habituerons aux alternatives aux rassemblements en personne, et les raisons pour lesquelles nous voyageons pourraient changer. Les professionnels qui sont passés aux réunions en ligne et qui travaillent à domicile ne sont pas cantonnés à un seul endroit. Des enquêtes menées auprès de consommateurs américains ont montré que près des trois quarts des personnes interrogées envisageraient de prolonger leurs vacances en travaillant, et Airbnb a signalé que le terme " télétravail " revenait trois fois plus dans ses évaluations pendant la pandémie. Une dynamique similaire peut être observée en Europe.
Les pays ont pris des mesures pour attirer ces "nomades numériques". La Barbade a lancé le programme Welcome Stamp en réponse directe à la pandémie – les personnes paient 2 000 dollars EU pour un visa qui leur permet de travailler à distance pendant un an. Les Bermudes et l'Estonie ont pris des initiatives comparables. Les PMA d'Asie du Sud-Est font appel aux nomades numériques depuis un certain temps – la pandémie devrait rendre plus attrayante l'idée de travailler à partir d'un lieu tropical.
De nouveaux acteurs et de nouvelles infrastructures seront nécessaires. Alors que les voyagistes assuraient traditionnellement un rôle de coordination, les agents immobiliers pourraient être mieux placés pour situer les voyageurs. L'Internet à haut débit et fiable sera un facteur déterminant de la compétitivité d'un lieu. Comme tout le monde passe plus de temps en ligne, le marketing Internet peut donner accès aux consommateurs. Les pays peuvent créer des sites Web qui répondent à des questions essentielles et faire de la promotion via des portails tels que nomadlist.com.
Conclusion
L'analyse de la chaîne de valeur mondiale permet de réfléchir aux dynamiques qui ont historiquement influencé le tourisme mondial, tout en éclairant ce que l'avenir pourrait offrir. La COVID-19 va changer notre façon de voyager et les raisons pour lesquelles nous le faisons, et ajouter à la liste des facteurs dans lesquels les pays doivent investir pour être compétitifs. Ce que nous avons appris du passé, c'est que la confiance et l'accès aux consommateurs sont importants. Il est essentiel de comprendre les liens qui existent tout au long de la chaîne, de savoir où vous vous situez et quels sont les maillons que vous pouvez et ne pouvez pas contrôler.
Il est particulièrement important que les petits pays et les PMA demeurent conscients de ces caractéristiques et poursuivent leurs efforts pour tirer parti des atouts du pays, apporter des avantages intersectoriels et contribuer à la santé et à la viabilité à long terme de leur territoire. La COVID-19 provoque des perturbations sans précédent dans le secteur du tourisme mondial. Mais elle offre également aux pays l'occasion de réfléchir à la manière dont ils peuvent développer une approche plus stratégique et plus profitable pour participer au secteur.
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Stacey Frederick est Directrice générale et chercheuse scientifique au Duke Global Value Chains Center.
Jack Daly est analyste de la recherche au Duke Global Value Chains Center.
Header image of an agroprocessing facility outside Addis Ababa - ©Fernando Castro/EIF
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