En 2013, j'ai écrit un article plaidoyant en faveur d'une "Aide pour le commerce électronique", qui serait une initiative cousine de l'Aide pour le commerce et favoriserait le commerce numérique au moyen de partenariats public‑privé. Cette idée m'a conduite à conclure, par le biais de ma société Nextrade, un certain nombre d'alliances et de partenariats public‑privé (PPP) pour promouvoir le commerce numérique. Parmi ces partenariats, il y a d'abord eu l'initiative "eTrade for All" avec la CNUCED et, ultérieurement, l'Alliance for eTrade Development I et II (ou "eTrade Alliance") avec l'USAID et 14 sociétés, auxquelles s'ajoutent aujourd'hui 5 autres initiatives, dont une prochainement en Afrique. Il est temps que les PPP jouent un rôle dans la promotion du commerce numérique et de l'accès des petites entreprises au commerce électronique, en particulier dans les pays les plus vulnérables.
La pandémie de COVID‑19 a accéléré la numérisation, l'entrepreneuriat numérique et l'adoption, par les entreprises, de technologiques numériques, même dans les pays en développement pauvres. Cette numérisation dans les PMA est intervenue alors même que des entreprises technologiques d'envergure mondiale affichaient leur désir d'aller plus loin que les grands marchés émergents et de promouvoir le commerce numérique et les investissements étrangers directs (IED) dans les pays les plus pauvres.
À la différence de 2013, les PPP sont aujourd'hui largement acceptés comme un moteur de la promotion du commerce numérique. Ils doivent maintenant être utilisés là où ils sont encore rares, par exemple dans les PMA.
Les secteurs public et privé réunissent des atouts et capacités complémentaires pour promouvoir le commerce numérique: les organismes de développement ont des liens avec les gouvernements et un savoir‑faire et des ressources pour affronter le fameux "dernier kilomètre" (par exemple pour les segments et zones rurales mal desservis), tandis que le secteur privé dispose de technologies, de capacités et de compétences de première main concernant les modèles économiques qui accélèrent les impacts en termes de développement.
Comment peut‑on alors optimiser et cibler les PPP de manière à ce qu'ils servent les besoins des PMA? Je formule ici sept idées.
Premièrement, financer le secteur public et le secteur privé est essentiel pour rendre les PPP opérationnels. J'ai vu et testé de nombreux modèles – et le modèle qui a le mieux fonctionné à ce jour est un mélange, d'une part, de ressources et de financement du secteur privé, et d'autre part, de cofinancement solide du secteur public – y compris l'intervention de courtiers honnêtes pour concevoir et mettre en place des initiatives communes et forger de nouvelles alliances et relations entre entreprises du secteur privé. Le financement est primordial et il doit provenir principalement de donateurs.
Deuxièmement, les PPP ont besoin d'une vision audacieuse – une étoile Polaire – qui établit de quelle façon les efforts favoriseront à terme la croissance économique, la productivité, la création d'emplois et le bien‑être. Cette vision nécessitera des objectifs clairs et des indicateurs clés de performance (ICP) pour parvenir aux effets visés. Les entreprises peuvent utiliser des indicateurs financiers (recettes, rentabilité, exportations, économies sur les coûts, part de marché), et les gouvernements peuvent utiliser des ICP tels que la diversification des produits exportés et des marchés d'exportation, et l'IED entrant dans le secteur des technologies.
Troisièmement, les PPP pour le commerce numérique doivent aller au‑delà des modèles d'"entreprise à client" (B2C) et de la promotion des produits. Les volumes de commerce électronique d'"entreprise à entreprise" (B2B) sont en plein essor grâce à l'adoption, par les vendeurs B2B, des modèles omnicanaux. Les services numériques, qui sont le segment du commerce mondial qui connaît la croissance la plus rapide, méritent également une attention particulière. Les entreprises qui vendent des services numériques évitent aussi la question épineuse des contraintes logistiques auxquelles sont confrontés les petits vendeurs de marchandises dans leurs transactions transfrontières. Promouvoir des services commerciaux à forte intensité de connaissances livrables par voie numérique permettra aussi aux pays en développement de développer des services numériques locaux et de tirer avantage des chaines de valeur numériques mondiales et régionales des multinationales.
Quatrièmement, les PPP pour le commerce numérique doivent voir plus loin que le commerce en soi et faciliter l'accès à des technologies et des compétences – car le commerce suit, généralement. Les entreprises qui réussissent dans le domaine du commerce électronique ont des caractéristiques en commun, dont deux sont particulièrement notables. Tout d'abord, ces entreprises ne se contentent pas d'emprunter les circuits de vente numériques; elles utilisent des ensembles de technologies et de services numériques multiples, tels que les systèmes de gestion de la relation client, l'informatique en nuage, les systèmes de planification des ressources d'entreprise et des solutions technologiques financières pour simplifier et accroître leurs ventes. Ensuite, les vendeurs efficaces ont aussi les compétences techniques nécessaires pour mobiliser des technologies et utiliser le commerce électronique à leur avantage – et bien souvent, les entreprises de pays en développement citent les compétences comme étant le principal frein à leur participation au commerce numérique. Les PPP peuvent se concentrer sur la facilitation de l'accès aux technologies et aux compétences – les programmes de compétences régionaux dans le cadre desquels les entreprises peuvent avoir accès à des capacités et services technologiques au‑delà de leurs marchés et à l'échelle de leurs régions, constituent une possibilité prometteuse.
Cinquièmement, les PPP doivent avant toute chose viser les effets d'échelle et la durabilité. La plupart des projets de développement du commerce électronique dans le monde tendent à concerner quelques douzaines, ou, au mieux, quelques centaines d'entreprises. À l'avenir, nous aurons besoin de solutions s'adressant à des dizaines et des centaines de milliers d'entreprises – mieux encore, à des millions d'entreprises. Il y a au moins trois façons d'obtenir des effets d'échelle:
La première est de mieux exploiter les plates‑formes. Les donateurs permettent généralement à de petites entreprises et à des entreprises dirigées par des femmes d'intégrer ces plates‑formes et des plates‑formes d'autres types, par exemple pour vendre davantage en ligne. Cependant, les donateurs peuvent collaborer avec les plates‑formes pour stimuler le commerce numérique et les entreprises de ce secteur, par exemple en intégrant de nouveaux acheteurs sur des plates‑formes bifaces; ils peuvent aussi promouvoir la création de plates‑formes entièrement nouvelles. Les PPP doivent aussi imaginer des solutions au‑delà des plates‑formes pour mobiliser la prochaine génération d'Internet – Web3, les modèles de financement décentralisés et les capacités de réalité augmentée du Métavers, afin de dynamiser les entreprises et permettre l'émergence de nouveaux services écosystémiques.
L'impact peut aussi être accru grâce à la promotion et à la numérisation des écosystèmes et services locaux – assurer le travail d'arrière‑plan pour que les entreprises puissent facilement exercer des activités commerciales et accéder aux services. Il est essentiel que les PPP s'efforcent de numériser l'écosystème commercial plus large (tel que les ports, les zones franches, les douanes et les guichets uniques) et les paiements et les établissements de liaison entre les acteurs concernés au moyen de technologies comme la chaîne de blocs, l'intelligence artificielle, l'Internet des objets et les paiements B2B numériques.
Une autre façon d'accroître l'impact, et c'est la façon la plus essentielle selon moi, est de promouvoir l'interopérabilité entre les plates‑formes numériques. Par exemple, une entreprise n'aura besoin d'aucune solution alternative, ni d'aucun renforcement de capacités spécifique pour les paiements transfrontières si elle peut, d'un simple clic, accepter le paiement de n'importe quel client effectué via n'importe quelle plate‑forme. Il faut également des solutions fondamentales telles que l'identité numérique qui permet aux entreprises de facilement s'authentifier et de partager des données avec de multiples services numériques et services de financement. L'interopérabilité contribuerait aussi à promouvoir la régionalisation des services numériques nécessaires pour le commerce numérique, tels que des services régionaux de prêt et d'assurance, et à faciliter l'utilisation d'autres services financiers tels que les envois de fonds numériques.
Sixièmement, améliorer les politiques numériques est un élément crucial de tout projet visant à augmenter et renforcer les impacts. Nos données montrent que les MPME ont de plus en plus de peine à comprendre les réglementations numériques nationales toujours plus nombreuses, telles que les règles en matière de protection des consommateurs et de confidentialité des données, et à s'y conformer. Le "Splinternet" réglementaire mondial dissuade les entreprises de diversifier leurs marchés et il faut y remédier par des approches coordonnées, telles que des mécanismes d'intégration et des ententes commerciales à l'échelle régionale. Au niveau multilatéral, il faut au moins renouveler le moratoire concernant les droits de douane sur les transmissions électroniques, afin de permettre aux citoyens et aux entreprises des pays en développement d'avoir accès à des biens et services numériques à des prix peu élevés, et aussi, à terme, d'exporter des biens et services numériques en franchise de droits.
Septièmement, les PPP doivent faire beaucoup plus pour la promotion de la "science du développement du commerce numérique". Les impacts sur le développement doivent être mieux mesurés dans les programmes de développement du commerce électronique. La ventilation peut être améliorée en utilisant des groupes de contrôle, dans le cadre des interventions au niveau des entreprises, et en ayant recours à l'économétrie et à l'apprentissage automatique. Le secteur privé peut promouvoir l'apprentissage au moyen de ses données.
Les PPP sont extrêmement opportuns pour ce qui est de promouvoir le commerce numérique des PMA et de les aider à accéder à l'IED pour le secteur des technologies. Les secteurs public et privé sont tous deux nécessaires mais aucun d'eux ne suffit pour garantir le succès. Le secteur public tire avantage d'atouts et de capacités technologiques du secteur privé qu'il ne mettrait jamais en place de lui‑même, afin de faciliter les transactions et les marchés; le secteur privé tire également avantage du fait de travailler avec des donateurs pour pallier les défaillances des marchés et cofinancer des initiatives à plus long terme en vue de créer des marchés entièrement nouveaux – et de promouvoir les ventes numériques, créer de nouveaux emplois et assurer le bien‑être économique.
Pour en savoir davantage sur l'Aide pour le commerce et le commerce numérique, inscrivez‑vous pour participer à l'Examen global 2022 de l'Aide pour le commerce, du 27 au 29 juillet 2022.
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