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Le débat sur la participation des Pays les moins avancés (PMA) dans les chaînes de valeur globales n’est pas nouveau. Il se pose d’une manière récurrente depuis que cette catégorie de pays a été créée par les Nations-Unies au début des années 70. S’il a connu un regain d’intérêt, c’est à la faveur de la prise de conscience de la nécessité d’accélérer l'industrialisation et la transformation structurelle des PMA afin de créer les conditions du développement durable et inclusif.
Comprendre les mécanismes de la marginalisation des PMA
Les défis auxquels les PMA font face sont variés. Mis à part quelques rares succès économiques, souvent instables et réversibles, les PMA, surtout ceux qui sont en Afrique et qui représentent près de 80% des membres du groupe, n’ont pas bien profité de l’expansion de l’économie et du commerce mondial pendant ces dernières décennies. Nombre d’entre eux se sont même relativement désindustrialisés, malgré l’élargissement de l’accès aux produits intermédiaires importés, en particulier à destination du secteur manufacturier. Les exportations de produits bruts et de produits intermédiaires à forte intensité en matières premières restent la principale voie par laquelle les PMA s’intègrent aux chaînes de valeur mondiales. Or cette route est trop longue et trop complexe. Et pire, elle est contrôlée de bout en bout par des entreprises multinationales qu’il serait difficile de faire changer de cap.
On constate en effet que, dans de nombreux secteurs, la production comme la commercialisation des produits sont contrôlées par de grandes firmes étrangères. A travers la stratégie de fragmentation de leur production, ces sociétés transnationales peuvent se positionner sur les parties les plus lucratives de la chaine en ne laissant que très peu d'espace aux entreprises et aux producteurs locaux. Dans le secteur agricole, où de nombreux PMA africains présentent des atouts non négligeables, de nombreuses filières sont structurées de telle sorte que les produits quittent le pays aussitôt après la récolte, sans connaitre la moindre transformation ou après une transformation très faible. On peut citer dans ce lot l’hévéa du Liberia, le coton du Burkina Faso, du Bénin, du Mali et du Tchad, la noix d’anacarde de la Guinée Bissau, du Sénégal ou du Mozambique, etc.
Outre les stratégies des firmes multinationales, il existe aussi de nombreuses situations où les contraintes des PMA sont plutôt expliquées par les problèmes de gouvernance, la faible capacité institutionnelle, technique et technologique, ainsi que d’autres défis comme l’inexistence ou la faiblesse de la main d’œuvre qualifiée et les problèmes logistiques.
Saisir les opportunités des chaînes de valeurs mondiales
La fragmentation des chaînes de production à l’échelle globale a créé de nouvelles opportunités pour les PMA. En plus de la possibilité d’accroitre leur niveau de participation à certaines chaînes de valeur globales, ils peuvent aussi diversifier leurs marchés d’exportation ainsi que leurs partenaires commerciaux. La situation économique des PMA se présente sous une grande diversité. Si certains sont restés très en retard en ce qui concerne leur intégration dans les chaînes de valeur, en raison de leur taille, leur position géographique ou leurs contraintes multiformes du côté de l’offre, entre autres facteurs, d’autres réussissent progressivement à trouver des créneaux dans des chaînes transfrontalières, même si leur participation se limite à l’amorce de la chaine, notamment la fourniture de produits bruts ou semi-transformés.
La participation des PMA aux chaînes de valeur mondiales pourrait offrir à ces derniers de nombreux avantages. En raison de la faiblesse de leurs capacités et de leur niveau technique et technologique, l’intégration dans une ou plusieurs chaînes peut en effet leur permettre de contourner la complexité liée au développement complet d’une filière industrielle d’ensemble, en se spécialisant dans certaines tâches de production et en évoluant progressivement vers des taches plus complexes. Ceci demande cependant la mise en place de politiques agricoles, industrielles et commerciales cohérentes pour échapper à certains risques inhérents à l’intégration dans les chaînes de valeur globales, notamment celui de rester dans une spécialisation d’enclave durable ou définitive. Pour échapper à ce risque, l’une des alternatives est d’investir dans le développement de chaînes de valeur régionales.
Passer par les chaînes de valeur régionales
L’observation et les expériences accumulées tendent à démontrer que le développement de chaînes de valeurs régionales et le renforcement de l'intégration des systèmes de production, de transformation et de distribution au sein d'une même région, offrent de meilleurs atouts pour s’insérer dans les chaînes de valeur globales. Sans être un passage obligé, l’intégration dans les chaînes de valeur régionales permet en effet aux PMA de s’aménager un espace d’apprentissage et d’expérimentation qui a un double mérite. Il permet d’une part de promouvoir et tirer parti des complémentarités entre pays et acteurs économiques d’une même région et d’autre part d’exploiter la demande croissante de produits finis qui se manifeste dans chaque région.
En Afrique de l’Ouest par exemple, les efforts consentis pour le développement progressif de chaînes de valeur ont porté leurs fruits dans de nombreux domaines. Cela est particulièrement le cas dans le secteur agricole et agro-alimentaire où l’émergence d’une classe moyenne dans les centres urbains tend à accroitre les besoins de consommation de produits alimentaires de qualité. Même si à l’heure actuelle la croissance des besoins de consommation de produits alimentaires se traduit par l’augmentation des importations de produits étrangers, on peut présumer l’existence d’une préférence culturellement marquée en matière de consommation chez les citoyens pour les produits locaux lorsque ces derniers réunissent les conditions de qualité et de sécurité phytosanitaire. Ce qui fait qu’à court ou moyen terme, ce secteur pourrait être l’une des principales sources de création de richesses et l’un des principaux générateurs d’emplois.
Quels rôles l’OMC devrait-elle jouer?
Les engagements pris par les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en faveur des PMA lors de la Conférence ministérielle à Nairobi, en 2015, offrent de réelles chances de lever tout ou une partie des contraintes des PMA en termes de capacités productives et de développement de chaînes de valeurs. Deux de ces engagements peuvent être spécifiquement mis en relation avec les possibilités de développement des chaînes de valeur. Ce sont : (i) la mise en œuvre du traitement préférentiel en faveur des services et fournisseurs de service des PMA et la participation croissante de ces derniers au commerce des services (AGCS), (ii) les règles d’origine préférentielles pour le PMA. La Décision sur les règles d’origine préférentielles en particulier demande aux membres donneurs de préférences d’autoriser l’utilisation de matières non originaires à concurrence de 75 % de la valeur finale du produit. Ce qui constitue une grande avancée.
L’OMC n’a, certes, ni les moyens ni la vocation de faire le travail à la place des PMA. Car comme il est indiqué dans la Déclaration et le Plan d’Action d’Istanbul en faveur des PMA, adoptés en 2011, il revient aux PMA d’assumer la responsabilité de concevoir et conduire les politiques et les stratégies de développement adaptées à leur vision et leurs objectifs. Ce que les membres de l’OMC peuvent cependant faire, est garantir l’effectivité des décisions prises en faveur des PMA, améliorer et renforcer l’efficacité des initiatives comme le Cadre intégré renforcé et l’aide pour le commerce. Mais plus important encore, il s’agit d’inciter les pays développés à s’interdire d’imposer aux PMA africains des accords commerciaux bilatéraux qui les soumettent à l’obligation d’ouvrir largement leurs marchés sans qu’il leur soit possible de bénéficier du marché de leur partenaire en raison de leurs capacités productives limitées.
Comment lever les contraintes?
Les contraintes auxquelles les PMA font face ne sont pas insurmontables. Elles peuvent être levées grâce à une volonté politique forte et un leadership transformationnel capable de concevoir des politiques efficaces et cohérentes qui promeuvent la transformation systématique et la valorisation des produits locaux pour satisfaire les besoins marchés nationaux, régionaux et continentaux. Pour y arriver, il faut des investissements conséquents dans les ressources humaines, les infrastructures et la chaine logistique. Il faudrait également des mesures réglementaires adaptées pour faciliter les échanges transfrontaliers et assurer la libre circulation des produits.
La création des champions industriels nationaux et régionaux, notamment dans le domaine de la transformation agro-alimentaire, apparait, dans cette perspective, comme un préalable.
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Dr Cheikh Tidiane Dieye est Directeur Exécutif du Centre Africain pour le Commerce L’Intégration et le Développement.
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