Utiliser des imprimés africains traditionnels dans un esprit contemporain: une femme chef d'entreprise ambitionne de se lancer sur la scène mondiale, armée des bons outils de gestion
"Lançons‑nous en affaires!", s'est exclamée la présentatrice de télévision et chef d'entreprise kenyane Julie Gichuru devant un parterre de plus de 600 femmes entrepreneurs venues du monde entier. Rassemblées pour l'événement SheTrades Global 2018, ces femmes ont répondu avec enthousiasme à l'appel qui leur avait été lancé en vue d'élargir leurs réseaux et de développer leur entreprise.
La créatrice de mode gambienne Awa Conateh était dans son élément – elle adorait en effet avoir un dialogue créatif et moteur avec d'autres créateurs de mode issus des quatre coins de l'Afrique. Et pourtant, elle n'a pu s'empêcher d'avoir un sentiment étrange.
"Mon séjour à Liverpool m'a ramenée à quelque chose que je croyais avoir perdu," a‑t‑elle déclaré.
Près d'une décennie plus tôt, elle s'était vu refuser un visa pour le Royaume‑Uni.
"J'étais à Leeds, où j'étudiais pour obtenir un diplôme dans le domaine de la mode et de la décoration. Je suis rentrée chez moi pour voir ma famille et là, je me suis aperçue que j'avais dépassé de trois mois la date limite de mon séjour au Royaume‑Uni; on m'a donc refusé le renouvellement de mon visa étudiant et j'ai dû renoncer à mes études."
Frustrée et déçue, Mme Conateh a alors consacré toute son énergie à son premier amour: la mode. Elle s'est mise à dessiner des modèles pour des tenues, ce qu'elle faisait depuis qu'elle était petite.
"J'ai la mode dans le sang. Ma mère étant couturière, je me retrouvais souvent entourée de vêtements. Je me souviens que je transformais toujours mes robes pour les rendre plus audacieuses, colorées et ludiques", a‑t‑elle ajouté.
Après avoir fait confectionner sur mesure quelques‑unes de ses créations, elle a constaté que beaucoup de gens la complimentaient pour son style unique.
"Mes amis et ma famille ont commencé à me demander de leur créer des vêtements. Et c'est vraiment ainsi que mon entreprise – Yaws Creations – est née."
Elle a fait des débuts modestes – en travaillant à la maison avec un tailleur – mais sa vision était ambitieuse et audacieuse.
"Je voulais avant tout utiliser des imprimés africains dans un esprit contemporain. En Gambie, la mode est traditionnelle et présentée dans les hôtels, alors que mon style était nouveau dans ce pays. Cela m'a donné des ailes", a‑t‑elle confié.
Étant l'une des plus jeunes créatrices dans le secteur de la mode en Gambie, Mme Conateh a commencé à faire bouger les choses. Elle a tout d'abord organisé des défilés de mode tous les mois dans une boîte de nuit gambienne en invitant des stylistes, des artistes et des musiciens à y présenter leurs créations. Et, inspiré par cette initiative, un groupe de jeunes créateurs de mode et d'amis travaillant dans les relations publiques a lancé le "Fashion Weekend Gambia" avec Awa.
C'est à cette époque qu'elle est apparue sur le radar de SheTrades – une initiative du Centre du commerce international (ITC) qui vise à connecter trois millions de femmes entrepreneurs au marché d'ici à 2021.
"En Gambie, SheTrades a vocation à aider les femmes entrepreneurs à faire passer leur entreprise à un niveau supérieur. Qu'elles en soient au tout début et aient besoin d'aide pour lancer leur activité, ou qu'elles cherchent à exporter, nous les aidons à atteindre leurs objectifs en leur proposant des formations, un encadrement, des subventions, des voyages d'étude et d'autres formes de soutien", a déclaré Anna Wadda, coordinatrice de la section mode de SheTrades en Gambie.
Une fois qu'Awa est devenue une "SheTrader" (comme les participants au programme aiment à se désigner), elle a été invitée à participer à l'événement SheTrades Global à Liverpool pour nouer des contacts avec d'autres participants.
C'est alors qu'elle a pris conscience de l'importance des efforts qu'elle avait déployés pour Yaws Creations.
"Être de retour au Royaume‑Uni m'a fait éprouver un sentiment étrange. Je me suis rendu compte que je n'avais pas perdu toute chance de travailler dans la mode. En créant ma propre maison de couture, je me la suis appropriée. Et voir la réaction si positive des autres a été très gratifiant."
Pendant son séjour au Royaume‑Uni, elle a profité de l'occasion pour se plonger dans le monde de la mode africaine.
"Après avoir parlé avec des fournisseurs et des entreprises, j'ai constaté à quel point la mode africaine était appréciée au Royaume‑Uni. J'ai commencé à entrevoir des débouchés pour ma propre entreprise de mode", a déclaré Mme Conateh.
"J'ai réalisé que j'avais géré mon entreprise en tant qu'artiste, en tant qu'esprit créatif, ce qui est formidable en termes d'innovation concernant les produits, mais qui l'est moins pour les activités opérationnelles courantes comme la comptabilité. Pour développer mon entreprise et réaliser mes ambitions, il fallait que je perfectionne mes compétences commerciales."
Elle est donc revenue en Gambie avec la ferme intention d'asseoir plus solidement son entreprise. Elle s'est fixée pour objectif de se familiariser avec les principes de l'investissement en vue de développer Yaws Creations, de mettre l'entreprise en ligne et de vendre à l'international.
Après cinq ans de travail à domicile, elle s'est installée dans sa propre maison de couture et a doublé la taille de son équipe pour répondre à la demande croissante des clients. Elle a également embauché des stagiaires mais a constaté que leurs compétences en matière de finition étaient insuffisantes.
SheTrades, qui bénéficie du soutien du Cadre intégré renforcé (CIR), l'a envoyée en Éthiopie, où elle a pu visiter certaines des grandes institutions africaines du secteur de la mode.
"Ce voyage m'a permis de prendre conscience que si nous voulons vraiment développer le secteur de la mode en Gambie, nous devons remettre à niveau notre enseignement et notre formation. Je suis vraiment enthousiaste à l'idée de créer un centre de développement des compétences qui puisse améliorer les savoir‑faire en matière de finition dans notre filière."
"Grâce à une formation et à un encadrement professionnel, j'ai pratiquement finalisé un plan d'entreprise et une nouvelle image de marque, ce qui signifie que je serai bientôt prête à investir et à exporter", a déclaré Mme Conateh.
Dernièrement, Yaws Creations a confectionné des masques en réponse aux besoins liés à la COVID‑19.
L'initiative SheTrades est sur le point de lancer un programme de petites subventions destinées aux entreprises dirigées par des femmes, ainsi qu'un mécanisme de co-investissement pour aider les entreprises à obtenir des investissements auprès d'un réseau d'investisseurs providentiels devant lequel elles peuvent se présenter.
"Nous avons également travaillé à la promotion des femmes dans les marchés publics grâce à notre groupe de sensibilisation "Women in Business"", a déclaré Mme Wanda.
"Nous voulons la garantie que 30% des marchés publics sont attribués à des entreprises appartenant à des femmes. Cela est particulièrement important dans des secteurs comme la mode, qui sont dominés par les femmes."
À cet égard, il semble que certaines figures publiques gambiennes montrent déjà la voie. Dans son rôle de championne de l'égalité homme‑femme, la première dame de Gambie, Fatoumatta Bah‑Barrow, s'est engagée à faire appel à des stylistes gambiennes pour enrichir sa garde‑robe.
"Si elle souhaite faire bouger les choses grâce à un nouveau style unique, elle sait où me trouver", a déclaré Mme Conateh.
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