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Le système commercial mondial traverse depuis de nombreuses décennies une crise sans précédent. Les tendances récemment observées semblent suggérer que les régimes de politique commerciale des grandes économies pourraient changer profondément, ce qui aurait de lourdes conséquences pour les économies les plus pauvres et les plus vulnérables du monde.
Bien que la guerre tarifaire entre la Chine et les États Unis retienne beaucoup l'attention, le commerce mondial connaît aussi des changements structurels, qui compliquent encore la situation.
Les conséquences de la crise financière mondiale de 2008 sur les flux commerciaux mondiaux ne se sont en réalité pas fait sentir longtemps, mais les bouleversements plus récents du commerce, observés depuis 2015, pourraient être annonciateurs d'une nouvelle tendance à la baisse, plus durable, du volume des activités commerciales. Il semble que les taux de croissance du commerce à moyen et long termes pourraient être bien inférieurs à ceux de la période 1980 2007, où ils étaient de plus de 6%.
Autre fait nouveau majeur: la distension du lien direct entre la croissance du commerce et celle du PIB. Pendant les trois décennies qui ont précédé la crise financière mondiale, le commerce affichait un rythme de croissance en moyenne deux fois supérieur à celui du PIB – avec un taux de croissance annuel moyen de la production mondiale de 3% pour un taux de croissance du commerce de 6,1%. Pendant la période d'après crise, le PIB et le commerce ont tous deux enregistré un taux de croissance annuel moyen de 3%.
Les dangers du protectionnisme
Les perspectives commerciales peu encourageantes ont été encore assombries par les mesures protectionnistes adoptées par un grand nombre de pays développés et de grands pays en développement suite à la crise financière mondiale, et le fait qu'ils n'aient pas supprimé ces mesures par la suite. Les changements de politique des États Unis et les mesures commerciales unilatérales qu'ils ont prises ont sérieusement entravé les flux de commerce et d'investissement mondiaux.
De plus, la croissance économique en recul de la Chine, et le recentrage opéré par le pays autour de la consommation intérieure de services et de la production manufacturière à forte valeur ajoutée – ainsi que le ralentissement du développement des chaînes de valeur mondiales – affaiblissent les liens commerciaux.
Les conséquences négatives de la mondialisation et le cortège de politiques protectionnistes adoptées en conséquence ont de nouveau braqué les projecteurs sur le rôle du commerce dans le développement. Le Programme de développement durable à l'horizon 2030 reconnaît le commerce international comme un moyen d'atteindre les différents ODD.
L'une des questions importantes est celle de savoir quelles conséquences aura l'évolution du commerce international pour les PMA.
Tendances récentes du commerce mondial
Après six longues années écoulées depuis 2011, une forte reprise des flux commerciaux mondiaux a été enregistrée en 2017. Les exportations mondiales de marchandises et de services ont atteint 22 700 milliards de dollars EU, soit une augmentation de plus de 10% par rapport à l'année précédente. En 2018, le commerce mondial a atteint le niveau record de presque 25 000 milliards de dollars EU. Les exportations de marchandises se sont élevées à 19 000 milliards de dollars, dépassant pour la première fois les 18 600 milliards enregistrés en 2014.
Amélioration de la performance des exportations mondiales
Source: les données proviennent de UNCTADStat
En termes réels, la croissance du commerce mondial de marchandises et de services a atteint environ 5% en 2017 – ce qui est bien supérieur au taux de croissance annuel moyen de 3% enregistré entre 2012 et 2016. Néanmoins, ce nouvel élan de croissance du commerce observé en 2017 n'a pas permis de retrouver le taux moyen à long terme de 6,1% affiché avant la crise financière mondiale. La croissance du commerce est revenue à 4,3% en 2018 et devrait ralentir encore, compte tenu de l'incertitude qui règne au niveau mondial. Le commerce des marchandises devrait augmenter de seulement 1,2% en 2019.
Performance des PMA
Entre la fin des années 1990 et 2013, les PMA sont parvenus à inverser la tendance à la marginalisation dans le commerce mondial, leur part dans les exportations mondiales totales de marchandises et de services ayant assez sensiblement augmenté, jusqu'à dépasser très légèrement 1% en 2013.
Il est intéressant de noter que la crise financière mondiale de 2008 n'a pas engendré de forte diminution de l'importance relative des PMA. En revanche, ces pays ont été gravement touchés par le ralentissement du commerce observé en 2015 2016, et leur part dans les exportations mondiales a reculé.
Reprise des exportations des PMA après le ralentissement du commerce
Source: les données proviennent de UNCTADStat
Entre 2000 et 2008, les exportations des PMA ont presque été multipliées par quatre, passant de 43 milliards de dollars EU à environ 180 milliards. Entre 2010 et 2018, l'augmentation correspondante a été bien moindre, et le facteur de multiplication de seulement 1,5 environ.
La crise commerciale mondiale devait porter un premier coup à l'une des cibles des ODD, à savoir l'ODD 17.11.
Inspirée du Programme d'action d'Istanbul pour les PMA pour 2011 2020, cette cible prévoyait le doublement de la part des PMA dans les exportations mondiales d'ici à 2020. Pour atteindre cet objectif, il faudrait que la part des PMA atteigne 2,1%. Or elle est en réalité tombée à 0,97% en 2018. Même si la valeur en dollars des exportations des PMA a atteint en 2018 un niveau jamais égalé depuis 2000 – légèrement plus de 240 milliards de dollars EU – parvenir à doubler la part des PMA semble désormais extrêmement difficile compte tenu des tendances actuelles du commerce mondial.
Le commerce de marchandises Sud Sud et la crise commerciale mondiale
L'un des principaux changements observés dans l'économie mondiale ces quelque trois dernières décennies a été la croissance rapide de la part des pays en développement dans le commerce mondial. La tendance à l'augmentation du volume des échanges entre pays en développement est à mettre en parallèle.
En 2018, la part des PMA dans les exportations des pays du Sud a été d'environ 56%, contre 53% en 2016. La même année, leurs échanges de marchandises (exportations plus importations) avec des pays en développement ont totalisé 355 milliards de dollars EU, contre 143 milliards pour les échanges avec des économies développées.
Répartition géographique du commerce des marchandises des PMA, 2018
Source: analyse des auteurs d'après les données de UNCTADStat
Politiques adoptées en cette période d'incertitude
Les PMA devraient continuer de renforcer leurs capacités commerciales, y compris en matière d'offre à l'exportation et de développement des institutions liées au commerce, en ayant recours aux initiatives d'Aide pour le commerce comme le Cadre intégré renforcé et à d'autres sources de soutien. Faire des progrès dans ces domaines prend du temps, et la stagnation du commerce mondial ne doit pas décourager les efforts.
Les PMA devraient aussi tenter de développer leur commerce avec les pays du Sud – notamment en utilisant les préférences commerciales accordées par la Chine et l'Inde – tout en exploitant les conditions préférentielles dont ils bénéficient pour l'accès à leurs marchés d'exportation traditionnels dans des pays développés, par exemple dans le cadre de l'initiative "Tout sauf les armes" de l'Union européenne.
L'expansion du commerce dans le cadre d'engagements régionaux pourraient être une autre stratégie pour les PMA. De nombreuses études ont montré que le potentiel de commerce représenté par les accords commerciaux régionaux faisant intervenir des pays en développement était resté largement inexploité. En outre, pour un grand nombre de ces accords, soit la mise en œuvre effective a été très lente soit ils n'ont pas été mis en œuvre.
Enfin, les PMA devraient se coordonner et collaborer avec d'autres parties prenantes régionales et internationales pour communiquer avec les partenaires de développement, afin d'assurer le maintien des engagements internationaux en matière de commerce et de développement.
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Mohammad A. Razzaque est Directeur de recherche à l'Institut de recherches politiques de Dhaka (Bangladesh). Syed Mortuza Ehsan est Professeur assistant au Département d'économie de la North South University de Dhaka (Bangladesh). Brendan Vickers est conseiller et chef de la Section de la politique commerciale internationale, au Secrétariat du Commonwealth (Londres). Les auteurs remercient Salamat Ali et Hilary Enos Edu pour les données fournies.
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