Les possibilités offertes par l'Accord portant création de la Zone de libre‑échange continentale africaine (ZLECAf), sont bien documentées. Ce marché continental unique pour les biens et les services créerait la plus grande zone de libre‑échange au monde de par le nombre de ses membres, stimulerait le commerce et les investissements intra‑africains, augmenterait la productivité et la valeur, et créerait d'énormes opportunités d'emploi. S'il est pleinement mis en œuvre, d'ici à 2035, l'Accord permettra d'augmenter le commerce intra‑africain de 81% et de sortir plus de 100 millions de personnes de la pauvreté extrême et modérée.
Selon Afreximbank, malgré la formation de communautés économiques régionales (CER) en Afrique destinées à faciliter le commerce, en 2019, plusieurs membres africains ont eu plus d'échanges commerciaux avec l'Europe qu'entre eux. Cette année‑là, seulement 14,4% du total du commerce formel en Afrique était intrarégional. Cependant, une évaluation du commerce régional serait incomplète si elle excluait le commerce informel. Bien que difficile à mesurer, des enquêtes partielles et d'autres travaux de comptabilisation ont estimé que le commerce régional informel de l'Afrique atteignait ou dépassait le commerce formel, en particulier pour certains produits et pays. Certaines études ont estimé que le commerce régional informel se situait entre 30% et 40%.
L'une des raisons de la faiblesse généralisée du commerce régional est la mauvaise connectivité. Les infrastructures matérielles et immatérielles permettraient d'améliorer l'efficacité, de réduire les coûts et d'accroître les opérations transfrontières. L'amélioration du dialogue public‑privé pour résoudre ces problèmes doit être une priorité absolue pour que la ZLECAf atteigne son plein potentiel.
Infrastructures matérielles
De nombreuses régions d'Afrique ont besoin de moderniser leurs infrastructures matérielles pour faciliter les déplacements sur le continent. Cela englobe les améliorations nécessaires pour rentabiliser les transports terrestres, maritimes et aériens et la connectivité numérique.
Cette année, les Sierra‑Léonais se sont vu offrir la rare opportunité de voir leur équipe nationale de football masculine jouer à la Coupe d'Afrique des Nations. Pour beaucoup d'entre eux, se rendre à la compétition qui se déroulera au Cameroun en janvier 2022 s'avère pratiquement impossible en raison d'infrastructures désastreuses. Les vols directs de Freetown à Yaoundé sont pratiquement inexistants. Les itinéraires indirects imposent de parcourir deux fois la distance directe avec de multiples escales pour un coût exorbitant de plus de 1 000 dollars EU. Le mauvais état des routes dans les sept pays qu'il faudrait traverser rendrait la conduite extrêmement pénible, sans compter les coûts supplémentaires liés au carburant, aux hôtels, à la nourriture et au respect des prescriptions en matière d'immigration et de douane aux différents postes frontières.
Imaginez à quel point une infrastructure matérielle médiocre limite les entreprises si les particuliers doivent faire face à ces difficultés lorsqu'ils tentent de se déplacer pour aller voir un match de football. Sans routes, ponts et voies ferrées en bon état, comment les agriculteurs d'un pays peuvent‑ils faire en sorte que leurs marchandises arrivent dans un autre pays en temps voulu et en bon état, à un prix raisonnable? Comment un fabricant de textiles ouest‑africain peut‑il exporter efficacement ses produits en Afrique centrale? Le transport maritime est également problématique, et il est urgent de négocier des routes maritimes plus efficaces et plus rentables.
Infrastructures immatérielles
Les infrastructures physiques sont inutiles sans les infrastructures immatérielles qui permettent de mettre en place des institutions solides et sans le capital humain pour appuyer la circulation des biens, des services et des personnes. Actuellement, la méconnaissance des procédures officielles, les difficultés d'accès aux documents de voyage et aux licences commerciales, et les temps d'attente excessifs aux frontières contraignent souvent les commerçants à s'engager dans le commerce informel. En outre, les procédures douanières doivent être simplifiées, les barrages routiers le long des principaux axes commerciaux éliminés et les ports rendus plus efficaces.
En mettant en place l'élément capital humain des infrastructures immatérielles, les membres de la ZLECAf ne doivent pas perdre de vue la nécessité d'établir des cadres pour reconnaître et normaliser les compétences et les qualifications formelles. Cela permettra aux gens de travailler facilement dans d'autres pays. La question plus large de l'immigration pour favoriser la mobilité sur le continent doit également être abordée.
Les nations africaines doivent donc investir dans les infrastructures numériques et immatérielles nécessaires pour favoriser le commerce électronique, l'apprentissage en ligne, le travail à distance, la gouvernance en ligne et le renforcement des institutions. Sans cela, les membres de ZLECAf pourraient manquer une occasion cruciale de devenir des destinations compétitives pour le commerce et l'investissement. En outre, le monde a besoin des contributions de l'Afrique à la quatrième révolution industrielle.
Dialogue public‑privé
Les investissements dans les infrastructures ne sont pas bon marché. Les gouvernements doivent établir des priorités en fonction des besoins locaux et tirer parti de la participation du secteur privé. Un véritable dialogue avec le secteur privé, y inclus les entrepreneurs du secteur informel, pourrait aider les gouvernements à comprendre leurs priorités en matière d'infrastructures matérielles et immatérielles. Chaque entreprise ou commerçant particulier désireux de tirer parti de la ZLECAf a initié une certaine forme de planification et élabore des stratégies pour adapter ou développer des produits plus innovants et d'autres solutions. Les gouvernements doivent donc créer des plates‑formes pour leur permettre de partager leurs expériences et leurs offres potentielles. Les parties prenantes des secteurs public et privé doivent être plus dynamiques dans la communication de leurs projets afin de s'assurer que les cadres et les infrastructures adéquats sont en place pour améliorer les opérations commerciales courantes et la compétitivité et assurer le succès de la ZLECAf.
Par exemple, en Sierra Leone, le gouvernement doit‑il se concentrer sur la négociation de meilleures routes maritimes afin de positionner notre port comme une plate‑forme de transbordement de premier plan? Ou serait‑il plus efficace d'utiliser le temps et les fonds pour positionner le pays de manière à ce qu'il bénéficie du réseau intégré à grande vitesse en Afrique? La numérisation des services publics doit‑elle être prioritaire par rapport à la mise en place de plates‑formes de paiement?
Éviter un "but contre son camp" pour l'Afrique
Au football, lorsqu'un joueur envoie par inadvertance le ballon dans le but de sa propre équipe, il s'agit d'un "but contre son camp". Un but contre son camp est un acte qui nuit involontairement à ses propres intérêts. Si les parties prenantes de la ZLECAf n'abordent pas de manière adéquate la question des infrastructures matérielles et immatérielles nécessaires pour stimuler la connectivité sur le continent, elles risquent de marquer un "but contre leur camp". Cette infrastructure de connectivité est un investissement à long terme dont le développement peut prendre de nombreuses années. Il est essentiel que les gouvernements africains commencent à collaborer avec le secteur privé et d'autres parties prenantes à un rythme soutenu pour améliorer les routes commerciales, la qualité de l'infrastructure numérique et les politiques qui créeront les passages et les liens pour faciliter le commerce.
Plusieurs questions urgentes se posent: quelles réglementations sont nécessaires pour soutenir les nouveaux modèles commerciaux et encourager l'innovation? Quels cadres politiques et réglementaires doivent être révisés pour faciliter la libre circulation de la main‑d'œuvre? Un passeport africain constitue‑t‑il une proposition viable? Quelles sont les positions des différents pays en matière de propriété intellectuelle et de politique de concurrence? Quelles sont les infrastructures à développer en priorité pour accélérer les investissements?
En travaillant ensemble, les parties prenantes des différents secteurs peuvent éviter le gaspillage des ressources et mettre en place les systèmes nécessaires. On dit que "le diable est dans le détail". Le succès de la ZLECAf réside dans le franchissement du "dernier kilomètre". La connectivité et la mobilité sont essentielles. Par conséquent, comment pouvons‑nous mener un dialogue orienté vers l'action pour accélérer les investissements nécessaires dans de meilleures infrastructures matérielles et immatérielles afin d'éviter un "but contre son camp"de la ZLECAf?
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