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Aux Comores, Ibrahima Sittina Farate développe depuis quatre ans une société d'huiles essentielles et de produits de beauté du nom de Biozen. Elle a ainsi acquis des compétences indispensables en matière de gestion d'une entreprise et de commercialisation. Mais sans accès au financement du commerce, cette ambitieuse femme entrepreneur n'a pas accès aux marchés d'exportation.
Mme Farate n'est pas un cas isolé: selon le Forum économique mondial (WEF), le financement du commerce est l'un des trois principaux obstacles à l'exportation pour la moitié des pays du monde, et notamment les plus pauvres.
En matière de commerce transfrontières, les entrepreneurs savent que l'accès au financement du commerce est indispensable pour réussir. Les exportateurs veulent être payés à l'expédition, tandis que les importateurs veulent payer à la réception des marchandises.
Pendant des siècles, les banques ont comblé ce décalage temporel par le financement du commerce, autrement dit par un crédit qui couvrait le risque de défaut de paiement. Ce risque est faible – 0,2% en moyenne au niveau mondial, avec peu de variations d'un pays à l'autre – ce qui fait du financement du commerce une source de financement peu coûteuse. Aujourd'hui, on estime que 80% du commerce mondial est couvert par un crédit ou une garantie de paiement à court terme, soit plus de 10 000 milliards de dollars EU de flux annuels, selon la Banque des règlements internationaux.
Cependant, il existe dans certains pays un vaste fossé entre l'offre et la demande. Selon la Banque asiatique de développement, le déficit de financement du commerce, ou le montant du financement du commerce qui a été demandé mais refusé, est actuellement estimé à 1 500 milliards de dollars EU au niveau mondial, dont la moitié dans les pays en développement d'Asie et d'Afrique, les petites et moyennes entreprises (PME) étant les plus touchées. Selon le WEF, ce déficit pourrait atteindre 2 500 milliards de dollars EU d'ici à 2025, car les chaînes d'approvisionnement délaissent la Chine au profit de pays en développement plus pauvres. Cette situation crée non seulement un obstacle majeur entre les marchés mondiaux et les PME, qui sont par ailleurs prêtes à les approvisionner, mais elle empêche également le commerce de réaliser son potentiel de promotion de la croissance et du développement ainsi que de création d'emplois.
Pourquoi le déficit de financement du commerce est il si important dans les pays en développement?
Le financement du commerce est souvent considéré comme évident dans les pays industrialisés, car les importateurs et les exportateurs sont appuyés par des secteurs financiers matures. Or dans les pays en développement, les demandes de financement du commerce sont plus susceptibles d'être rejetées, pour plusieurs raisons.
La vérification de la solvabilité se révèle plus difficile pour les entreprises qui ne peuvent pas produire de garanties ou de documents financiers détaillés. De plus, les négociants locaux ne disposent parfois que d'un secteur financier plus restreint et plus sélectif. Autre difficulté majeure: dans de nombreux pays en développement, l'accès aux connaissances et aux compétences nécessaires pour utiliser les instruments de financement du commerce est limité.
De plus, depuis la crise financière mondiale de 2008‑2009, les banques internationales ont réduit leurs relations de correspondance bancaire, qui leur servent pour la compensation des garanties et des paiements transfrontaliers. Avant la crise, on dénombrait plus de 1 million de relations de correspondance bancaire, aujourd'hui, 200 000 ont disparu, affectant principalement les flux de financement du commerce vers l'Afrique, les Caraïbes, l'Europe centrale et orientale et les îles du Pacifique.
Le système financier est devenu encore plus concentré depuis l'adoption de nouvelles réglementations visant à lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, ainsi que de réglementations relatives aux sanctions commerciales et financières.
Les pays les moins avancés sont les plus touchés
La situation dans les pays les moins avancés est catastrophique. En Afrique, le taux de rejet des demandes de financement du commerce dépasse les 50%, tandis que le déficit de financement du commerce est estimé à plus de 100 milliards de dollars EU par an, soit un tiers de la valeur totale du marché. Les négociants, qui n'ont guère de solutions de remplacement, abandonnent généralement la transaction lorsque leur demande de financement est rejetée par la banque. De nombreuses banques internationales ne soutiennent plus les transactions commerciales intercontinentales avec l'Afrique, par crainte d'amendes réglementaires. Par conséquent, les banques locales peinent à trouver des dollars EU pour compenser les transactions commerciales.
Comme en témoigne la Stratégie d'intégration du commerce au Cambodge 2019-2023, les PME réalisent 90% des exportations. En raison de la pénurie de financement du commerce, les exportateurs doivent payer leurs intrants à l'avance, et les prêts locaux sont garantis par la terre, ce qui empêche les entreprises n'ayant ni terre ni liquidités d'accéder à un financement du commerce indispensable. Cette situation se retrouve dans de nombreuses autres économies.
Perspectives d'avenir
En coopération avec le gouvernement du Cambodge, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a élaboré des recommandations concernant des solutions de remplacement du financement bancaire, telles que l'affacturage et l'assurance‑crédit. Plus largement, elle a mis en place une coalition d'institutions pour remédier au problème et attirer l'attention de la communauté internationale sur la pénurie de financement du commerce. En 2016, le Directeur général de l'OMC, Roberto Azevêdo, a défini des actions prioritaires au niveau mondial dans une publication sur le financement du commerce:
1. Soutenir les programmes de facilitation du financement du commerce des banques de développement multilatérales par la promotion et la mobilisation.
2. Réduire l'écart des connaissances concernant les produits de financement du commerce, en encourageant les partenaires de l'OMC à augmenter leurs programmes de formation.
3. Engager un dialogue avec les organismes de réglementation du financement.
Des progrès ont été réalisés dans chacun de ces domaines.
Les banques multilatérales de développement ont accru les financements et/ou les garanties dans les régions les plus pauvres du monde. En 2018, ces programmes ont soutenu environ 30 milliards de dollars EU de transactions commerciales dans les pays à faible revenu, soit une augmentation de 50% depuis 2016, en mettant davantage l'accent sur les PME. Pour réduire l'écart des connaissances dans les institutions financières locales, l'OMC, les banques multilatérales de développement et la Chambre de commerce internationale organisent chaque année des formations pour plus de 1 500 personnes dans 60 pays. En vue d'intensifier le dialogue avec les organismes de réglementation, M. Azevêdo a pris contact avec les responsables du Conseil de stabilité financière et du Fonds monétaire international afin d'élaborer des mesures concrètes visant à aider les acteurs du financement du commerce à faire face aux exigences réglementaires.
L'OMC est prête à travailler avec ses partenaires pour trouver davantage de solutions au déficit de financement du commerce, en adoptant une approche plus systématique à l'égard de certaines régions en termes de diagnostic, de recommandations et de renforcement des capacités.
L'élimination des obstacles entre les marchés mondiaux et les PME qui disposent des marchandises que les consommateurs du monde entier recherchent aidera non seulement les exportateurs pris individuellement, mais elle permettra également au commerce de réaliser son potentiel et aux pays les moins avancés d'obtenir les avantages qui leur font cruellement défaut.
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Initialement publié le 10 février 2020 dans le cadre du Programme du Forum économique mondial
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