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La quatrième révolution industrielle est arrivée et l'économie mondiale assiste à une croissance exponentielle du commerce électronique. D'après les estimations, les ventes mondiales en ligne atteindront 4 500 milliards de dollars EU en 2021; l'Organisation mondiale du commerce (OMC) définit le commerce électronique comme "la production, la distribution, la commercialisation, la vente ou la fourniture de marchandises et de services par des moyens électroniques".
L'Afrique connaît bien l'économie fondée sur les technologies numériques. Selon McKinsey & Company, en dépit des contraintes, le commerce électronique pourrait représenter un marché de 75 millions de dollars EU sur le continent africain d'ici à 2025.
Compte tenu de l'augmentation du commerce électronique transfrontières et de la mise en œuvre par les pouvoirs publics des mesures de facilitation des échanges, l'amélioration des conditions de développement des secteurs de produits aidera les entreprises à générer ce qu'il est convenu d'appeler des "dividendes numériques". Conjuguées aux politiques appropriées, les nouvelles technologies de confiance et d'automatisation pourraient permettre aux pays en développement de transformer leurs économies.
Ce mélange technopolitique est particulièrement important pour les pays en période de transition. En Afrique du Nord‑Est, le Soudan est en plein changement économique, social et politique. Des politiques avisées qui tiennent compte de l'innovation numérique stimuleraient les efforts déployés par le Soudan en vue de devenir une économie ouverte, compétitive et prospère.
Les difficultés du Soudan en matière de commerce et de développement
Au cours de la dernière décennie, l'économie soudanaise a été confrontée à une montée de l'inflation, à des sanctions, à la volatilité du prix du pétrole et à des crises institutionnelles.
Le gouvernement du Soudan a entamé un processus de réforme institutionnelle et adopté un Programme quinquennal de réforme économique (2015‑2019). Les réformes visent à accroître la production nationale, stimuler les exportations du pays et relancer le processus d'accession à l'OMC.
Cependant, développer l'économie soudanaise grâce au commerce n'est pas une tâche facile. L'indicateur relatif au commerce transfrontalier de la Banque mondiale classe le Soudan au 185ème rang sur 190 pays. Les exportations et les importations du Soudan sont plus onéreuses et prennent plus de temps que presque tous les autres pays.
Le commerce électronique pour la croissance et la diversification
Étant donné que les économies reposent de plus en plus sur les interactions commerciales favorisées par des moyens électroniques, le processus actuel d'accession à l'OMC est l'occasion rêvée pour le Soudan d'intégrer le commerce électronique et la facilitation des échanges dans son programme de développement. Selon DHL, le commerce électronique transfrontalier devrait enregistrer une croissance annuelle de 25% en Afrique, soit deux fois le taux de croissance du commerce électronique national. Les activités commerciales effectuées à l'échelle régionale et mondiale grâce au commerce électronique pourraient apporter des avantages supplémentaires aux micro, petites et moyennes entreprises (MPME) du Soudan.
Des recherches récentes révèlent que le développement du commerce électronique en Bangladesh et au Cambodge a permis aux entreprises de ces pays de développer et de diversifier leurs exportations. Il est établi que la croissance du commerce électronique entraîne une augmentation notable des exportations de marchandises à forte valeur ajoutée et de produits de créneau.
Le taux de pénétration de la téléphonie mobile du Soudan de 70,4% donne la possibilité de compenser le faible taux d'accès à Internet, les coûts élevés de l'accès à la bande passante, le manque de systèmes de paiement électroniques, la faiblesse du pouvoir d'achat, une inclusion financière limitée et un taux d'alphabétisation insuffisant qui compromettent le développement du commerce électronique dans le pays. L'adoption des "espèces à l'arrivée" comme méthode de paiement pourrait également aider le pays à faire face à son manque d'inclusion financière.
La mise en œuvre de l'Accord de l'OMC sur la facilitation des échanges
D'après la Banque mondiale, l'une des principales contraintes qui entravent le commerce électronique transfrontalier et l'amélioration de l'accès aux marchés pour les MPME est liée aux coûts élevés et à la longueur des délais causés par les procédures douanières et frontalières. Une simplification des procédures, l'adoption de normes internationales et la possibilité de procéder à des paiements électroniques stimuleraient les activités de commerce électronique transfrontières des entreprises soudanaises.
Le gouvernement du Soudan ratifiera et mettra en œuvre l'Accord sur la facilitation des échanges (AFE) au moment de son accession à l'OMC. L'incidence de l'AFE devrait être telle que, d'ici à 2021, le Soudan aura réduit ses délais d'importation et d'exportation de 40%. Selon la CNUCED, le volume des exportations du pays pourrait enregistrer une augmentation allant jusqu'à 25% après la suppression des procédures non nécessaires qui engendrent des coûts pour les exportateurs. De plus, les recettes publiques devraient augmenter avec l'accroissement du commerce et une meilleure détection de la fraude et de la corruption.
Des constatations globales suggèrent que le coût du traitement des formalités administratives liées au commerce représente entre 15 et 50% du coût du transport physique. Un commerce sans papier – la numérisation des renseignements requis pour accompagner les marchandises et les services qui franchissent les frontières – et la mise en place de systèmes douaniers automatisés pourraient soutenir la mise en application des nouvelles mesures de facilitation des échanges du Soudan. Pour faire face à cette situation, et mettre en œuvre les dispositions de l'AFE, la protection et la promotion de l'identification géographique des produits devraient également être considérées comme une priorité afin d'encourager la transformation économique du Soudan.
L'établissement d'indications géographiques pour le développement des secteurs de produits
Visées par l'Accord de l'OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), les indications géographiques sont des "noms de lieux (ou aussi dans certains pays des mots associés à un lieu) utilisés pour identifier l'origine et la qualité, la réputation ou d'autres caractéristiques des produits" (par exemple "Champagne"). La protection et la promotion des indications géographiques soudanaises (par exemple les produits "gomme arabique") pourraient engendrer une augmentation des bénéfices pour les communautés rurales en contribuant à améliorer l'accès aux marchés et en les aidant à être mieux rémunérées pour la commercialisation des produits.
Les indications géographiques créent souvent des effets d'entraînement considérables du secteur des services lors de la promotion d'une région en tant que destination gastronomique et touristique culturelle (par exemple les campagnes touristiques ayant recours aux indications géographiques dans la région du café colombien). Cependant, la Loi soudanaise de 1969 sur les marques exclut la protection des indications géographiques par des marques. La Loi sur les marques et les indications géographiques adoptée par le pays en 2018 pourrait fournir un cadre juridique plus large en vue d'assurer la mise en conformité avec les conditions de protection minimales exigées au titre de l'Accord de l'OMC sur les ADPIC.
Étant donné que le commerce électronique peut réduire l'intermédiation, les producteurs pourraient se servir des chaînes de commerce électronique pour élargir la portée des produits bénéficiant d'une indication géographique. Les consommateurs en ligne ont tendance à demander des produits à plus forte valeur ajoutée en raison d'une relation plus étroite avec les producteurs.
La disruption du système commercial international: une politique "tridimensionnelle"
La technologie numérique peut aider le Soudan à relever les difficultés économiques liées à la compétitivité commerciale auxquelles il est confronté depuis longtemps dans le cadre de son processus actuel d'accession à l'OMC. En particulier, la technologie des registres distribués et les cas d'utilisation de la chaîne de blocs peuvent amplifier les avantages par le biais d'une politique "tridimensionnelle" visant à:
1. garantir aux exportateurs l'accès au crédit et aux paiements électroniques et rehausser la confiance dans les transactions: les systèmes de paiement et de commerce électronique garantissent des frais uniques, une uniformité du transfert et une immutabilité des transactions afin de fluidifier les systèmes de paiement et de transfert à l'échelle internationale. Grâce aux technologies de registres distribués, les MPME qui font du commerce électronique pourraient avoir un meilleur accès au crédit car elles peuvent être reliées à un écosystème d'investisseurs plus large et également accepter les paiements basés sur ces technologies;
2. mettre en place un "guichet unique" national: conformément à l'article 10:4 de l'AFE de l'OMC, les procédures commerciales du Soudan passeront ultérieurement par un guichet unique. Les technologies de registres distribués pourraient favoriser les échanges d'informations, la mise en œuvre de contrôles efficaces et la promotion de la transparence des mesures administratives;
3. retracer, vérifier et contrôler les indications géographiques: l'attribution et le "droit d'utilisation" pourraient se traduire par une traçabilité et une transparence des produits bénéficiant d'une indication géographique à l'aide des technologies de registres distribués (par exemple les chaînes de blocs). Cela permettrait de faire respecter les droits de propriété intellectuelle de ces produits et de donner aux producteurs ruraux des moyens d'agir.
L'émergence de la "regtech": une réglementation algorithmique et un "Internet réglementaire"
Les réglementations transfrontières limitent la capacité des MPME de se relier concrètement aux chaînes de valeur locales et mondiales (CVM). Avec l'émergence des technologies réglementaires et juridiques – "regtech" et "legaltech" –, un plus grand nombre de processus liés au commerce peuvent être accessibles et automatisés à l'intention des petites entreprises. Les règles commerciales et les lois sont maintenant conçues et exprimées sous forme d'algorithmes dans l'intérêt des entreprises et des consommateurs.
Un "Internet réglementaire" permettra aux entités de publier des règles et des règlements computationnels (par exemple une législation) en ligne dans un format standardisé de sorte que n'importe quel utilisateur puisse facilement les chercher, les trouver et les appliquer.[1] Un Internet réglementaire aidera les MPME à estimer (dès le départ) les coûts du commerce pour déterminer la faisabilité de marchés d'exportation spécifiques et automatiser la conformité.
La publication des règles et des règlements sur une plate-forme sans lien avec Internet permet également au gouvernement de remplir ses obligations au titre de l'article premier de l'AFE de l'OMC. Un pays comme le Soudan aurait ainsi plus de facilité à maintenir la pertinence de ses règles commerciales (par exemple les taux tarifaires, les règles d'origine, etc.) en arabe, en anglais et sous une forme algorithmique (c'est-à-dire computationnelle), le cas échéant. Cette approche plus fonctionnelle permettrait au Soudan de satisfaire ses obligations de publier les informations sur les droits de douane et la réglementation du commerce d'une manière facilement accessible (conformément à l'article 1) et pourrait également "alimenter" les systèmes de guichet unique (conformément à l'article 10) en effectuant des calculs basés sur la saisie de données commerciales.
Un réseau de règlements algorithmiques peut être rendu accessible par n'importe quel système informatique. La conception de ces règles n'exige pas que les entités (par exemple le gouvernement du Soudan) exploitent leurs propres infrastructures matérielles, et les systèmes peuvent être décrits comme étant "issus du nuage". Avec un Internet réglementaire, les règles seront également accessibles aux utilisateurs sur les réseaux cellulaires. Les entreprises pourront consulter et appliquer les règles/paiements à l'aide de la technologie d'envoi de messages courts (SMS). Cela concerne en particulier plusieurs pays africains, étant donné que les solutions par SMS peuvent prendre en charge les paiements mobiles (par exemple M‑Pesa). Compte tenu du fait que les appareils mobiles sont de plus en plus accessibles, la mise en place de règlements algorithmiques pourrait transformer des pays en développement comme le Soudan.
Les implications politiques et les futures possibilités de disruption
L'un des plus grands défis auxquels le Soudan est confronté dans son passage à la démocratie est de faire en sorte que le commerce profite au pays. Une synergie des politiques pourrait aider à transformer l'économie, favoriser la diversification et permettre aux entreprises soudanaises de s'intégrer dans les CMV. Les nouvelles politiques devraient viser à mettre en place un environnement solide pour le commerce électronique; à réduire les délais et les coûts à l'aide de procédures transfrontières prévisibles et efficaces; ainsi qu'à protéger et à promouvoir les produits traditionnels soudanais bénéficiant d'une identification géographique.
Bien que des technologies disruptives soient déjà activées dans différents environnements juridiques et commerciaux, on ne peut supposer qu'elles seront immédiatement adoptées au Soudan en raison du niveau de développement hétérogène des acteurs qui participent à la chaîne logistique, ainsi que de la prudence dont le gouvernement doit faire preuve. Cela étant dit, des innovations telles que la technologie des registres distribués et l'Internet réglementaire pourraient bientôt permettre au Soudan de diversifier ses exportations, de réduire les coûts de transaction et de tirer pleinement parti de l'amélioration de l'accès aux marchés mondiaux grâce à une éventuelle accession à l'OMC.
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[1] An Internet of Rules: Theory and Applications for Project Management in the Web 3.0, Money 3.0, and Industry 4.0 World" par J. Potvin, thèse en vue de l'obtention partielle d'un doctorat en administration (gestion de projet), Université du Québec (à venir). Logiciel libre/ouvert coordonné par Xalgorithms Foundation.
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