22 février 2024

Inverser la tendance à la baisse suivie par les exportations de services des PMA après la pandémie

by Salamat Ali Brendan Vickers / in Tribune libre
  • Si le secteur des services s'est révélé être un nouveau moteur de croissance économique, les effets persistants de la pandémie de COVID‑19 ont toutefois gravement touché les exportations de services des pays les moins avancés (PMA), dont les pertes se sont élevées à près de 29 milliards d'USD d'exportations perdues au cours des trois dernières années.
  • Les exportations mondiales de services se sont certes redressées après le choc provoqué par la pandémie, mais dans les PMA, la reprise ne suit pas, ce qui pourrait avoir des conséquences à long terme sur la réalisation des ambitions énoncées dans le Programme d'action de Doha pour les PMA et de plusieurs Objectifs de développement durable.
  • Des mesures devraient être prises d'urgence par les PMA et leurs partenaires en matière de commerce et de développement afin d'améliorer le recours à la dérogation de l'OMC concernant les services, d'encourager l'investissement étranger direct (IED) et le transfert de technologie, de promouvoir les initiatives en faveur du commerce régional, de mobiliser l'Aide pour le commerce et de réduire la fracture numérique, ce qui contribuerait à inverser cette tendance et permettrait aux PMA de tirer parti d'une transformation induite par les services.

     

Les lourdes séquelles de la pandémie pour les exportations de services des PMA

La pandémie de COVID‑19 a gravement touché le secteur des services des 46 PMA.[1] Leurs exportations de services ont chuté de 35%, soit plus du double que la baisse des exportations de services au niveau mondial (graphique 1, partie A). La pandémie à elle seule explique ce fléchissement observé dans les PMA: avant son déclenchement, la croissance des exportations de services de ces pays (11%) était supérieure au taux moyen mondial (6,3%) (tableau A1). Cette situation est due à la dépendance relativement plus importante des PMA aux services relatifs aux voyages et aux services de transport (à hauteur de 32% et de 29%, respectivement). Les exportations de ces deux secteurs ont connu un coup d'arrêt presque total pendant la pandémie. À l'inverse, dans la plupart des pays développés et en développement, les autres types de services comptent pour une part importante (services liés aux TIC, services d'assurance, services financiers, services de recherche‑développement (R&D), etc.), et les exportations de ces secteurs ont affiché une baisse relativement moins marquée que celles des secteurs des voyages et des transports (graphique A1).

Graphique 1. Incidences de la pandémie de COVID‑19 sur les exportations de services des PMA

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Figure 1. Impacts of the COVID-19 pandemic on LDCs’ services exports-new

Source:   Auteurs (à partir de l'ensemble de données de l'OMC sur le commerce des services).

Note:       CW = Commonwealth; BGD = Bangladesh; le Bangladesh n'est pas inclus dans deux sous‑groupes du graphique D [PMA (45) et PMA du CW (13)] en raison des valeurs atypiques de la croissance de ses exportations de services par rapport aux autres PMA. La croissance plus rapide enregistrée par le Bangladesh masque une tendance sous‑jacente à la baisse aux niveaux agrégés.

 

Après le premier impact qui été notable, les répercussions sur les exportations de services des PMA ont été beaucoup plus lourdes. Tandis que les exportations mondiales de services se sont redressées, dépassant de 13% (807 milliards d'USD) les niveaux d'avant la pandémie en 2022, celles des PMA sont restées inférieures de 20% à ces niveaux (graphique 1, partie D).

 

Les effets a moyen terme: des exportations perdues pour une valeur de 29 milliards d'USD

Entre 2005 et 2019, les exportations de services des PMA ont affiché un taux de croissance presque deux fois supérieur au taux mondial. En 2019, ces exportations ont culminé pour atteindre une valeur de 49,2 milliards d'USD, et la part des PMA dans les exportations mondiales de services, qui était de 0,44% en 2005, est passée à 0,79%. La pandémie a brusquement interrompu cette trajectoire à la hausse, annulant les gains à l'exportation accumulés au fil de plusieurs années.

En 2022, la valeur totale des exportations de services des 46 PMA était inférieure de 20% (soit 10 milliards d'USD) à celle de 2019, et la part de ces pays dans les exportations mondiales de services est tombée à 0,56%. Entre 2019 et 2022, 28 PMA ont enregistré une croissance négative de leurs exportations de services. Cette baisse est encore plus marquée (28%) si l'on exclut les exportations de services du Bangladesh. Pour ce qui est de la composition sectorielle, les exportations des quatre principaux secteurs[2] se sont contractées, la baisse la plus importante ayant été enregistrée pour les services de transport et les services relatifs aux voyages. S'agissant des exportations d'autres services[3], les PMA ont également connu une diminution de 9%, alors que ce secteur a affiché une croissance de 1% au niveau mondial pendant la pandémie.

Si les exportations de services des PMA s'étaient redressées à l'image de la moyenne mondiale, leur valeur aurait pu atteindre 67,5 milliards d'USD en 2022. Les effets persistants de la pandémie se sont largement fait sentir, entraînant des pertes de près de 29 milliards d'USD d'exportations perdues au cours des trois dernières années.

 

Les exportations de services se sont redressées dans la plupart des PMA du Commonwealth

Par rapport à la reprise tardive observée dans les 32 PMA non-membres du Commonwealth, les résultats à l'exportation des 14 PMA parties à cette organisation ont été légèrement plus nuancés:

  • En 2020, leurs exportations de services ont affiché une baisse de 27%, légèrement moins importante que celle de 39% enregistrée par les 32 autres PMA (graphique 1, partie A). Cela s'explique notamment par la baisse moins prononcée des exportations de services du Bangladesh (3%), premier PMA exportateur dans ce secteur, et par la croissance positive enregistrée par le Malawi.

S'agissant de la situation à moyen terme (2020‑2022), les exportations de services se sont redressées dans la plupart des PMA du Commonwealth. En 2022, leurs exportations totales étaient supérieures de 11% au niveau d'avant la pandémie, tandis que pour les autres PMA, elles restaient inférieures de 37% au niveau de 2019 (graphique 1, partie D). Le secteur des voyages est celui qui s'est le mieux redressé, et la reprise la plus importante a été observée au Bangladesh.

 

Cette forte reprise est également attribuable à la croissance solide des exportations de services du Bangladesh, qui était de 33% entre 2019 et 2022. La croissance impressionnante des exportations du Malawi, du Mozambique et de la Tanzanie (supérieure à 11% au cours de cette période dans les trois pays) a également contribué à cette reprise (annexe 1). Si l'on exclut le Bangladesh, les PMA du Commonwealth ont enregistré une baisse de 2% en raison de la reprise tardive en Gambie, aux Îles Salomon, au Lesotho, à Kiribati et en Ouganda (graphique 1, partie D).

 

Cinq mesures de politique pour inverser cette tendance

  1. Améliorer le recours à la dérogation concernant les services pour les PMA de l'Organisation mondiale du commerce (OMC): Actuellement, 51 économies, représentant une part importante du commerce mondial des services, accordent un accès préférentiel aux services des PMA au titre de cette dérogation. Cependant, les effets concrets sont limités. Cette dérogation pourrait produire davantage de bénéfices si elle était assortie d'un accès aux marchés amélioré, de réglementations assouplies et d'une aide au renforcement des capacités des fournisseurs de services des PMA.
  2. Encourager l'IED et le transfert de technologie: La réalisation d'investissements axés sur la création d'activités entièrement nouvelles dans le secteur des services pourrait aider les PMA à accroître leurs capacités de production et leurs exportations en facilitant le transfert de technologie et de compétences, et en favorisant l'intégration de leurs fournisseurs de services dans les marchés régionaux et mondiaux.
  3. Promouvoir les initiatives en faveur du commerce régional: Compte tenu de l'importance croissante des échanges régionaux, des initiatives telles que la Zone de libre‑échange continentale africaine (ZLECAf) peuvent jouer un rôle central, étant donné que plus de 70% de tous les PMA (33 sur 46) se trouvent sur le continent africain. De même, les 12 PMA asiatiques peuvent tirer parti du Partenariat économique régional global (RCEP). Ces accords de libre‑échange pourraient également offrir des possibilités afin d'attirer l'investissement et de favoriser la participation des fournisseurs de services dans les chaînes de valeur régionales et mondiales.
  4. Combler l'écart entre les engagements et les décaissements au titre de l'Aide pour le commerce: les PMA devraient chercher à mobiliser les ressources et l'assistance technique mises à disposition dans le cadre de l'Aide pour le commerce, comme celles proposées par le Cadre intégré renforcé (un partenariat hébergé par l'OMC), afin de remédier à leurs contraintes du côté de l'offre et d'accroître leur participation au commerce mondial des services. L'Aide pour le commerce peut également aider les PMA à renforcer les capacités nécessaires pour participer plus activement au commerce de services fournis par voie numérique tels que les services liés aux TIC, les services de vente et de commercialisation, les services financiers, les services professionnels et les services d'enseignement et de formation.
  5. Réduire la fracture numérique: Il est possible, en améliorant la connectivité numérique, y compris l'accès à Internet, et en rendant les services à large bande plus abordables et de meilleure qualité, d'accélérer la croissance des exportations de services des PMA, étant donné que les deux tiers environ des services exportés au niveau mondial sont désormais fournis par des moyens numériques. Il convient de prêter une attention particulière à la réduction de la fracture numérique entre les genres, les taux d'accès à Internet n'étant pas les mêmes pour les hommes et les femmes: seulement 48% des femmes sont intégrées à l'infrastructure numérique des PMA, contre 58% des hommes.
     
Annexe 1

Graphique A1. Composition des exportations de services en 2019 (part dans divers secteurs)

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Figure A1 Compositions of services exports in 2019 (share of various sectors)

Source:   Auteurs (à partir des données de l'UNCTADstat).

 

Tableau A1: Exportations de services des PMA avant et après la pandémie

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table1
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table2

 

Source: Auteurs (à partir de l'ensemble de données de l'OMC sur le commerce des services).

Note: * = PMA du Commonwealth; les cellules en surbrillance indiquent un taux de croissance négatif pour les pays et régions correspondants.


 

[1] Au moment de la publication du présent article, le nombre de PMA était de 45, le Bhoutan étant sorti de cette catégorie le 13 décembre 2023. Néanmoins, les données et l'analyse figurant dans ce document sont fondées sur le compte initial de 46 PMA.

[2] Services liés aux marchandises, services relatifs aux voyages, services de transport et autres services.

[3] Services liés aux TIC, services d'assurance, services financiers, services de R&D, etc.

Avertissement
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