Au cours des dernières décennies, le système commercial multilatéral et l'ensemble de règles commerciales inscrites dans le corpus de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ont constitué la pierre angulaire du développement économique tiré par le commerce. Les échanges commerciaux et les flux d'investissement étranger direct ont créé un réseau incroyablement efficace de chaînes de valeur mondiales, ce qui a contribué à accroître la prospérité, à intensifier le développement économique et à réduire la pauvreté de manière continue au niveau mondial. Le groupe des pays les moins avancés (PMA) bénéficie souvent, pour ses exportations, de régimes préférentiels unilatéraux qui ont été mis en place dans la plupart des pays de l'OCDE et des pays en développement.
Cependant, malgré ce contexte favorable, la participation des PMA au commerce mondial reste faible. Si, au cours des 10 dernières années, la part des pays en développement dans le commerce mondial n'a cessé d'augmenter, les PMA n'ont toutefois pas profité de cette tendance: leur part a peu évolué et une légère contraction a été enregistrée à partir de 2013 (graphique 1)
Graphique 1: Part des pays les moins avancés dans les exportations mondiales (%)
Source: Antimiani et Cernat (2021), "Untapping the full development potential of trade along global supply chain: "GVCs for LDCs" proposal", Journal of World Trade 55, à paraître.
Cette faible participation se vérifie encore plus dans le cas des chaînes de valeur mondiales (CVM). La plupart des PMA ont mené une diversification limitée de leurs exportations et restent tributaires de l'exportation de quelques produits de base ou produits spécifiques comme les minéraux ou les produits agricoles. Malgré cette structure concentrée des exportations, de nombreux pays tiers exportent des produits dont une part non négligeable de la valeur ajoutée est créée par les PMA, notamment des textiles, des aliments transformés et des produits à forte intensité énergétique (graphique 2).
En outre, du fait de la pandémie de COVID‑19, la croissance reprend à un rythme plus faible dans les PMA (14,1%) que dans les pays en développement (34%) et développés (14,1%).
Les PMA sont aussi confrontés à un autre problème, à savoir l'amoindrissement continu de la marge de préférence entre les droits de la nation la plus favorisée (NPF) et les droits accordés à leurs exportations au titre de régimes préférentiels unilatéraux, même en cas d'accès en franchise de droits et sans contingent, ce qui s'explique par le nombre croissant d'accords de libre‑échange conclus dans le monde.
Graphique 2: Part de la valeur ajoutée créée par les PMA dans les exportations sectorielles selon les principales régions exportatrices
Source: Antimiani et Cernat (2021), "Untapping the full development potential of trade along global supply chain: "GVCs for LDCs" proposal", Journal of World Trade 55, à paraître.
Contrairement aux régimes préférentiels fondés sur les exportations "directes" des PMA, la nouvelle initiative visant à mettre les CVM au service des PMA permettrait aux Membres de l'OMC d'accorder un accès en franchise de droits à la valeur ajoutée créée par les PMA qui "voyage" à l'intérieur des produits finis exportés dans le monde par tout autre Membre de l'OMC. Ainsi, les exportations des PMA resteraient exemptes de droits tout au long des chaînes de valeur mondiales, ce qui obéirait à la logique du "Fabriqué dans le monde" défendue par l'OMC depuis plusieurs années.
Si l'on se penche sur la composition des exportations des PMA, on constate qu'environ 25% de la valeur ajoutée exportée par ces pays est de nouveau transformée et incorporée dans les exportations de pays tiers. Des CVM au service des PMA offriraient de nouvelles possibilités inexploitées pour accroître la participation au commerce mondial non seulement des PMA, mais aussi des exportateurs qui intègrent la valeur ajoutée créée par les PMA à leurs produits. Ces possibilités découlent du fait que les PMA demeurent dépendants d'exportations de produits d'amont qui sont de nouveau transformés le long des chaînes d'approvisionnement mondiales puis (ré)exportés en tant que parties de produits transformés de pays tiers.
Prenons par exemple le cas d'un fruit tropical (la mangue) exporté par des PMA. Actuellement, ces produits sont admis en franchise de droits et sans contingent dans le cadre de certains régimes préférentiels destinés aux PMA (comme l'initiative "Tout sauf les armes (TSA)" de l'Union européenne). De ce fait, rien ne peut être fait pour que les fruits tropicaux exportés par les PMA bénéficient d'un accès préférentiel supplémentaire aux marchés de l'Europe ou de tout pays ayant mis en place un système similaire à TSA. Cependant, si les fruits tropicaux des PMA sont intégrés dans les produits alimentaires transformés (comme un yaourt ou une glace) exportés par un pays tiers et que ces exportations sont visées par un droit NPF de 15% dans un autre pays, les mangues des PMA se retrouvent alors indirectement assujetties à ce droit de 15%. Au titre de l'initiative visant à mettre les CVM au service des PMA, la teneur en fruits tropicaux provenant des PMA serait déduite de la valeur en douane des produits alimentaires transformés, ce qui accroîtrait les échanges et stimulerait les exportations de mangues des PMA tout au long de la chaîne d'approvisionnement. Ainsi, contrairement aux régimes unilatéraux existants, le mécanisme multilatéral visant à mettre les CVM au service des PMA peut donner un nouvel élan aux exportations des PMA et avoir davantage de répercussions positives au niveau mondial.
Ce mécanisme doit être fondé sur un ensemble uniforme de règles d'origine relatives à la valeur ajoutée pour garantir que la réduction tarifaire soit proportionnelle à la part de valeur ajoutée créée par les PMA.
Libérer le potentiel des chaînes de valeur mondiales
Pour évaluer les principaux effets économiques de ce mécanisme, nous avons eu recours au cadre de modélisation dynamique de l'équilibre général calculable mis au point par le Global Trade Analysis Project (GTAP). Nous avons envisagé un scénario multilatéral dans lequel chaque pays bénéficierait, sur une base multilatérale, d'une réduction de droits proportionnelle à la valeur ajoutée créée par les PMA et incorporée dans les marchandises qu'il exporte. Ces réductions tarifaires proportionnelles (fondées sur la part de valeur ajoutée créée par les PMA dans les exportations de pays tiers) à l'échelle mondiale tiennent compte non seulement des biens intermédiaires, mais aussi de la valeur des services fournis selon le mode 5 qui proviennent des PMA.
En ce qui concerne l'ensemble des effets sur le commerce, le commerce mondial augmenterait de 23 milliards de dollars EU et la part des PMA dans le commerce mondial gagnerait environ un dixième de son niveau actuel. Cette initiative pourrait permettre aux PMA d'améliorer leur valeur ajoutée qui est incorporée dans leurs propres exportations et dans celles d'autres pays. Le graphique 3 présente les secteurs qui enregistreraient la plus forte hausse de valeur ajoutée créée par les PMA au niveau national. Les PMA accroîtraient la valeur ajoutée incorporée dans leurs exportations de plus de 5 milliards de dollars, certains secteurs affichant de meilleurs résultats que d'autres (textiles, fabrications métalliques, autres produits primaires, bois et produits chimiques). Grâce à cette nouvelle initiative, ils accroîtraient de 2% en moyenne la part de valeur ajoutée nationale dans leurs exportations.
En outre, ce qui est probablement plus important encore, l'initiative visant à mettre les CVM au service des PMA pourrait réduire la spécialisation excessive de ces pays dans la production agroalimentaire en renforçant leur rôle dans l'approvisionnement de biens intermédiaires dans une vaste gamme de secteurs manufacturiers.
Graphique 3: 10 principaux secteurs d'exportation bénéficiant de la plus forte hausse de valeur ajoutée (en millions de dollars, 2025)
Source: Antimiani et Cernat (2021), "Untapping the full development potential of trade along global supply chain: "GVCs for LDCs" proposal", Journal of World Trade 55, à paraître.
Toutefois, cette initiative ne conduirait pas seulement à une hausse des exportations directes des PMA. Étant donné que des préférences seraient accordées au niveau multilatéral pour les produits comportant des intrants de PMA, ces derniers accroîtraient également leur valeur ajoutée incorporée dans les exportations de pays tiers, ce qui permettrait d'améliorer tout particulièrement l'intégration des PMA et d'autres pays en développement exportant vers les marchés mondiaux dans les chaînes de valeur.
Conclusion
Malgré la reprise du commerce observée au cours de ces derniers mois, les effets à long terme de la pandémie de COVID‑19 se feront sans doute sentir dans les années à venir. D'après les estimations du Centre du commerce international, le potentiel d'exportation mondial pour 2025 est désormais inférieur de 3,4% à ce qui était prévu avant la pandémie, les prévisions de croissance du PIB ayant été revues à la baisse. Le potentiel d'exportation devrait s'affaiblir dans l'ensemble des régions géographiques, l'Afrique (‑7,0%) et les PMA (‑6,4%) étant les plus touchés.
Le mécanisme visant à mettre les CVM au service des PMA montre que le système commercial mondial et les nouvelles initiatives multilatérales peuvent être grandement améliorés afin de donner un nouvel élan à la participation des PMA au commerce international. Fait tout aussi important, l'augmentation des exportations des PMA ne desservirait personne: tous les pays profiteraient d'un accroissement de leur PIB et de leur bien‑être économique, étant donné que cette initiative multilatérale créerait de nouveaux débouchés de marché pour tous ceux qui intègrent des intrants de PMA dans leurs exportations.
‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑
Note des auteurs: les opinions exposées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position officielle ni les vues de la Commission européenne.
‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑‑
Une version de cet article a initialement été publiée ici par VoxEU, le 24 juin 2021.
If you would like to reuse any material published here, please let us know by sending an email to EIF Communications: eifcommunications@wto.org.