18 février 2021

L'économie montagnarde au Népal à l'épreuve de la hausse des températures et du faible enneigement

by Aadesh Subedi / in Nouvelles

Article publié par la Thomson Reuters Foundation, mardi 9 février 2021 à 3h30 GMT

Fragilisés par les restrictions en matière de voyages liées à la COVID-19, les opérateurs népalais comptaient sur le tourisme local, mais les montagnes peu enneigées en raison du changement climatique attirent peu de vacanciers.

* La température au Népal augmente à raison de 0,6 °C par décennie.

* Le réchauffement est particulièrement marqué dans les zones de haute montagne.

* Le manque de neige impacte la fréquentation des hôtels et les récoltes.

DHAMPUS, Népal, 9 février (Thomson Reuters Foundation) – Baburam Giri travaille depuis 12 ans comme cuisinier dans le village de Dhampus, un haut lieu touristique grâce à son panorama exceptionnel sur le massif de l'Annapurna, où l'enneigement ne cesse pourtant de diminuer.

exceptionnel sur le massif de l'Annapurna, où l'enneigement ne cesse pourtant de diminuer.

"Il y a cinq ans, il est tombé plus de 60 cm, mais depuis il n'y a pas eu de grosses chutes de neige", déplore Baburam Giri depuis la cuisine de l'hôtel Yama Sakura.

Alors que les hôtels du monde entier accusent des pertes financières en raison des restrictions visant à enrayer la pandémie de coronavirus, le cuisinier explique que son village comptait surtout sur les touristes népalais.

Mais cette année les montagnes peu enneigées attirent moins de vacanciers.

"D'habitude, beaucoup de touristes locaux et nationaux viennent par ici dès les premières chutes de neige. Mais cette saison l'hôtel est presque vide."

Du tourisme à l'agriculture, plusieurs secteurs économiques des montagnes népalaises ont vu leurs revenus diminuer faute de précipitations hivernales abondantes au cours des dernières années – un phénomène que les scientifiques associent à la hausse des températures.

 

Baburam Giri dans la cuisine de l'hôtel Yama Sakura à Dhampus, une petite ville des montagnes du nord du Népal, 16 janvier 2021. Thomson Reuters Foundation/Aadesh Subedi.

D'après Arun Bhakta Shrestha, chef de programme régional à l'International Centre for Integrated Mountain Development (ICIMOD), la télédétection a permis de mettre en évidence un recul constant des surfaces enneigées au Népal et dans toute la région Hindu-Kush-Himalaya.

"La température au Népal augmente à raison de 0,6 °C (1,08 °F) par décennie", précise-t-il.

Un rapport publié par le Département de l'hydrologie et de la météorologie en décembre dernier prévoyait que la température moyenne au Népal cet hiver serait supérieure à la moyenne, et les précipitations inférieures à la moyenne.

Pour Budhhi Man Gurung, propriétaire de l'hôtel Yama Sakura, le changement climatique et la COVID-19 ont fait chuter les revenus de 80% par rapport à l'année dernière.

Il témoigne : "J'ai maintenant du mal à payer les salaires de mon personnel."

Il n'y a pas d'étude exhaustive sur l'impact économique du faible enneigement sur le secteur touristique népalais, mais pour Dhananjay Regmi, Directeur de l'Office national du tourisme, il ne fait aucun doute qu'à long terme le changement climatique se traduira par une baisse du nombre de visiteurs.

"La plupart des touristes viennent au Népal pour voir des montagnes couvertes de neige, et si nous ne pouvons plus leur offrir un tel paysage, cela finira par avoir des conséquences sur la fréquentation", confie-t-il lors d'un entretien téléphonique.

L'Office du tourisme népalais avait élaboré une stratégie pour promouvoir le tourisme hivernal, y compris le ski, afin de séduire davantage de visiteurs.

Malheureusement, les efforts déployés par Dhananjay Regmi et son équipe risquent d'être vains face à des précipitations de plus en plus imprévisibles.

Luttte contre les parasites en hiver

Le tourisme n'est pas le seul secteur affecté par le manque de neige dans le centre du Népal.

Shanta Bahadur Bishowkarma, un agriculteur de Dhampus, raconte qu'il y a quelques années il cultivait suffisamment pour nourrir sa famille.

Désormais, l'eau vient à manquer et il a de la peine à faire pousser suffisamment de maïs, de millet et de légumes pour subvenir aux besoins du foyer.

En hiver, il comptait pour l'irrigation sur la neige fondue, mais désormais il est parfois obligé d'utiliser de l'eau potable.

La neige et le froid permettaient aussi de lutter contre les parasites, beaucoup d'insectes et de maladies des végétaux ne résistant pas aux hivers les plus rudes.

"C'est une croyance très ancienne – quand il y a beaucoup de neige la récolte est excellente la saison suivante."

Mais avec le réchauffement, l'agriculteur doit se résoudre à acheter des denrées alimentaires.

Shanta Bahadur Bishowkarma examine ses plantations à Dhampus, bourgade népalaise située face au massif de l'Annapurna, 16 janvier 2021. Thomson Reuters Foundation/Aadesh Subedi

Arjun Rayamajhi, chargé de la protection phytosanitaire au Centre d'information gouvernemental sur l'agriculture de Darchula, un district des montagnes du Népal, explique que le taux de reproduction des insectes est moindre à basses températures.

De plus, dans cette région comme ailleurs dans le monde, le réchauffement climatique attire des parasites qu'on ne trouvait pas auparavant à haute altitude.

"Avec la hausse des températures dans les régions plus élevées, les insectes se déplacent et les agriculteurs de haute montagne sont confrontés à de nouveaux parasites", explique Arjun Rayamajhi.

Il est aussi de plus en plus difficile de cultiver certaines plantes traditionnelles bien adaptées au climat froid, comme les pommes.

"Même le bétail est touché, car quand il y a moins de neige l'hiver est plus sec et les herbages moins abondants."

"Cela ne fait qu'aggraver la situation dans des régions montagneuses déjà en proie à des problèmes de sécurité alimentaire."

Réchauffement inhabituel

Les spécialistes du climat avertissent que les hivers très enneigés seront de plus en plus rares au Népal au cours des prochaines décennies.

Une évaluation concernant la région Hindu-Kush-Himalaya publiée par l'ICIMOD en 2019 prévoit une diminution de 50 à 60% des chutes de neige dans le bassin du Gange sur la période 2071-2100.

Les recherches mettent en évidence un réchauffement "inhabituel" dans les zones de haute altitude, estimé comme étant "deux à trois fois supérieur à la moyenne mondiale".

D'après Sushil Raj Poudel, Président de l'Association des organisateurs de treks de l'ouest du Népal, les opérateurs ne peuvent plus compter sur les pics de fréquentation qui suivaient autrefois chaque chute de neige importante.

"C'est très étonnant qu'il ne neige pas au Népal à cette époque de l'année."

"J'avais entendu parler des signes du réchauffement climatique dans d'autres pays, mais c'est différent d'en faire l'expérience directe."

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